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Le cyclone Freddy, qui a frappé Madagascar mardi et fait au moins quatre victimes, sort à bien des égards de l’ordinaire. Et même s’il est loin d’avoir été aussi destructeur que les ouragans les plus meurtriers de l’hémisphère nord, Freddy risque de rentrer dans l’histoire des cyclones.

Il a un nom à évoquer des cauchemars. Le cyclone Freddy a tué quatre personnes après avoir frappé Madagascar, mardi 21 février au soir. Il continuait, mercredi, sa route dévastatrice, accompagné de vents puissants et de pluies torrentielles, à travers la grande île du sud de l’Afrique et devrait atteindre les côtes du Mozambique vendredi.

Ce cyclone tropical de catégorie 3 lorsqu’il a touché terre à Madagascar a fait “16 660 personnes sinistrées”, d’après un premier bilan du Bureau national de gestion des risques et des catastrophes (BNGRC) publié mercredi. Sur ce total, près de 11 000 ont dû été évacuées d’urgence, tandis que 3 300 maisons ont été inondées. 

Un peu de chance

Madagascar redoutait l’arrivée de Freddy, dont l’intensité maximale enregistrée a été celle d’un cyclone de catégorie 4 – c’est-à-dire avec des vents aux alentours des 220 km/h –, mais qui s’est approché de la catégorie 5, le maximum pour ce type de phénomène météo extrême, a rapporté Yale Climate Connections, un média dépendant de la célèbre université américaine de Yale.

L’île avait en effet déjà dû faire face fin janvier à Cheneso, un précédent cyclone de catégorie 2. Les pluies torrentielles qui étaient alors tombées avaient “dégradé les sols", augmentant le risque "d’inondations et de glissements de terrain”, estimait Yale Climate Connections.

Mais les habitants de cette région ont “eu de la chance”, assure Ralf Toumi, spécialiste des cyclones tropicaux à l’Imperial College de Londres. Freddy a d’abord évité de frapper l’île de la Réunion, qui semblait pourtant être sur sa route. Le cyclone a ensuite largement épargné l’île Maurice qui a, cependant, connu des pluies intenses. 

Enfin, en arrivant à Madagascar, il s’est dégonflé “pour retomber à un cyclone de catégorie 1 en entrant sur les terres, ce que les autorités locales savent gérer”, assure Ralf Toumi. Madagascar est, en effet, le pays africain le plus exposé à ces événements extrêmes, puisqu’il subit, en moyenne, 1,5 cyclone par an, d’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU.

Freddy devrait ensuite reprendre un peu du poil du cyclone en quittant mercredi soir Madagascar et en entrant dans le canal du Mozambique, car “la température de l’eau y est actuellement élevée, ce qui contribue à accentuer l’intensité des cyclones”, souligne Ralf Toumi. Mais les prévisions actuelles du Joint Typhoon Warning Center (JTWC), le principal centre américain d’observation des cyclones, mise sur un Freddy en bout de souffle, avec des vents dépassant à peine les 110 km/h, lorsqu’il touchera les côtes du Mozambique.

Un "monstre" unique

Le pire semble donc avoir été évité. Si une zone habitée avait été touchée par Freddy au sommet de son intensité, “cela aurait produit un résultat apocalyptique”, a souligné Emmanuel Cloppet, directeur de Météo-France pour l’océan Indien, interrogé par Le Monde.

Car même si Freddy ne marquera probablement pas les esprits comme d’autres cyclones bien plus destructeurs, “c’est un phénomène unique et inédit qui vient de se produire”, souligne Xiangbo Feng, spécialiste des cyclones tropicaux à l’université de Reading.

Freddy est en effet un “monstre” comme l'océan indien n’en a jamais connu auparavant. L’énergie qu’il a accumulée tout au long de son périple depuis l’Australie est sans pareille pour la région. “Il y a deux manières principales d’évaluer l’importance d’un cyclone : soit on observe son intensité maximale, ce qui n’est jamais facile et donne souvent lieu à des débats même si c’est le critère le plus souvent retenu, soit on s’intéresse à toute l’énergie emmagasinée durant sa vie, et qui traduit la dangerosité potentielle du phénomène”, résume Ralf Toumi.

Ainsi, Freddy a obtenu un score de 66 sur l'index de l'Énergie cumulative des cyclones tropicaux (en anglais, Accumulated Cyclone Energy ou ACE) établi par l’université du Colorado. Il a déjà battu le précédent record pour l’hémisphère sud, établi à 53 par le cyclone Fantala de 2016, alors qu’il n’a pas encore fini sa route. Même dans l’hémisphère nord, connu pour ses phénomènes cycloniques très violents, tels que les ouragans Katrina en 2005 ou Sandy en 2012 (le mot "ouragan" étant l’équivalent du terme "cyclone" pour l’Atlantique), il n’y a que deux événements plus puissants selon l'index ACE : l’ouragan "Three" de 1899 et Ivan en 2004.

Mais ce n’est pas tout. “Le plus frappant, c’est la durée de vie de ce cyclone”, assure Xiangbo Feng. Cela fait maintenant plus de trois semaines que Freddy évolue en tant que cyclone dans le Pacifique, ce qui est “très rare”, confirme Ralf Toumi.

“Il faut une conjonction de conditions météorologiques – températures chaudes et stables, vents d’une puissance similaire au niveau de l’eau et au-dessus du cyclone – qu’il n’est pas fréquent de rencontrer sur une période aussi longue”, assure le climatologue de l’Imperial College de Londres.

Freddy "refuse de mourir"

Généralement, les cyclones de cette région et prenant naissance vers l’Australie bifurquent aussi vers le sud bien avant d’atteindre Madagascar. Mais pas Freddy, qui “a continué tout droit en suivant une trajectoire inédite”, constatent les experts interrogés par France 24. 

Tout au long de son périple, “il a connu quatre pics d’intensité, ce qui n’arrive jamais à ma connaissance”, s’étonne Xiangbo Feng. D’ordinaire, les cyclones, ouragans ou typhons connaissent un pic ou deux au maximum puis perdent en intensité avant de disparaître. “Mais Freddy, lui, refuse de mourir”, martèle le chercheur de l’université de Reading.

C’est donc un phénomène à bien des égards mystérieux qui s’est abattu sur Madagascar. “L’un des principaux défis scientifiques sera de comprendre si Freddy restera un événement unique dans l’Histoire où s’il s’agit du premier d’une nouvelle série de cyclones qui partageront à l’avenir les mêmes caractéristiques [des phénomènes très intenses avec plusieurs pics sur une longue période, NDLR]”, résume Xiangbo Feng, qui travaille sur des outils pour prévoir ce type de comportement cyclonique.

“Il est sûr que des scientifiques vont essayer de voir si le réchauffement climatique permet d’expliquer le comportement inédit de ce cyclone”, confirme Ralf Toumi. Cela ne va pas être facile d’après cet expert : “On sait que le réchauffement des océans est lié au changement climatique, mais c’est beaucoup plus difficile à établir pour les autres facteurs qui influent sur la durée de vie de Freddy, comme par exemple la puissance des vents”.

Si c’est le début d’une nouvelle “famille” de cyclones, Xiangbo Feng estime que c’est peut-être “une chance car on les voit arriver de loin, ce qui permet de se préparer”.