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Ukraine : à Kharkiv, une vie rythmée par la loterie mortelle des bombardements

De notre envoyé spécial à Kharkiv – Dès que les forces russes ont lancé leur invasion à grande échelle de l'Ukraine, le 24 février 2022, la ville de Kharkiv, dans l'est du pays, est entrée en résistance. Un an plus tard, si les troupes russes se sont retirées de leur côté de la frontière, à 40 km de la ville, les habitants vivent toujours sous la menace de leurs frappes. 

Dix-huit heures. Kharkiv est plongée dans l'obscurité. À la nuit tombée, la deuxième ville d'Ukraine est uniquement éclairée par les phares des voitures et les lampes torches dans les mains de passants. Les réverbères, eux, sont éteints. L'objectif : que la nuit empêche l'ennemi russe de frapper des sites clés. Un an après le début de l'invasion russe de l'Ukraine, le 24 février 2022, cette obscurité est ainsi devenue le symbole d'une menace russe constante.

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"Dans ma vie d'avant, j'aimais me promener le soir, mais maintenant je ne peux plus parce que ça me donne la chair de poule de marcher dans le noir", raconte Anastasia. Cette étudiante en informatique de 20 ans attend un taxi dans la rue Slumska, l'une des principales artères de Kharkiv - un lieu où la population se pressait pour faire du shopping, désormais transformé en une voie lugubre. 

"Mais la principale raison pour laquelle je ne me sens pas en sécurité ici, ce ne sont pas les lampadaires éteints. Ce sont les frappes russes. Nous avons été bombardés hier, et avant-hier, et encore avant-hier", déplore la jeune femme. "Si une bombe tombe sur votre maison, votre vie est détruite", résume-t-elle.

Diffuser la peur

Signe de cette menace constante qui plane sur la ville, le matin du 5 février, notre équipe est réveillée par deux fortes explosions. Des missiles russes S-300 ont frappé un bâtiment universitaire, the School of Urban Economy, situé à moins de 200 mètres de notre hôtel. Les deux derniers bâtiments de l'établissement ont été détruits.

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"Il n'y a eu que quatre personnes blessées. L'un d'entre eux est le garde de sécurité du bâtiment, qui est vide depuis un certain temps. Les trois autres sont des personnes vivant dans des immeubles situés derrière, là où un second missile est tombé", explique Eugeniy Vassilinko, porte-parole des services d'urgence sur place. 

Normalement, les missiles russes S-300 ont été conçus comme des armes anti-aériennes, mais la Russie les utilise comme des missiles sol-sol, moins chers. Ils ont été équipés d'un système de guidage GPS mais restent donc peu précis. Un défaut, qui, malgré tout, semble plutôt servir leur objectif : diffuser la peur au sein de la population. Car si les S-300 servent surtout pour des frappes intermittentes sur des cibles industrielles, militaires ou économiques dans la banlieue de Kharkiv, déclenchant régulièrement des alertes aériennes, ces vagues d'attaques comprennent aussi, souvent, un ou deux missiles lancés sur des cibles aléatoires dans le centre de la ville.  

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Une loterie mortelle pour les habitants, qui peut faire naître un sentiment d'impuissance, de résignation mais aussi de défi. Le 5 février, au moment de l'explosion, personne ne s'est précipité vers un abri... Le signe que les habitants de Kharkiv veulent continuer de vivre aussi normalement que possible.

"Les gens reviendront"

Ce sentiment de menace constante est encore aggravé par la présence des troupes russes de l'autre côté de la frontière, à seulement 40 km de là. D'autant plus que la Russie a déjà lancé ce qui semble être la première étape d'une offensive de printemps dans le Donbass. Selon The New York Times, Moscou pourrait être tenté d'ouvrir un nouveau front près de Kharkiv afin d'obliger l'Ukraine à détourner des ressources militaires.

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Aujourd'hui, les habitants restés dans la ville au plus fort de l'assaut russe, entre février et mai 2022, affirment que Kharkiv n'est plus la ville fantôme qu'elle était à ce moment-là. Certains magasins ont rouvert et les transports publics fonctionnent de nouveau. Mais dans la banlieue nord de Saltivka, où les tours d'habitation ont été bombardées pendant des mois, seule une fraction de la population initiale est revenue. "Dans mon immeuble, il n'y a que dix appartements sur 45 qui sont occupés en ce moment", témoigne Yuri, revenu à Saltivka à la mi-octobre. "En ce moment, nous avons l'électricité, le chauffage et l'eau. Mais nous sommes proches de la frontière russe, notre avenir reste très incertain."

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"C'est douloureux de voir tant de destructions, il faudra du temps pour reconstruire", réagit de son côté Elena. Ancienne femme de ménage, elle vit désormais des 2 000 hryvnias (environ 50 euros) d'aide sociale chaque mois. Elle veut rester optimiste. "Je suis sûre que plus de gens reviendront au printemps."

Cet article a été adapté de l'anglais par Cyrielle Cabot. 

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