Une avalanche d’amendements déposés, puis retirés. Chahut, invectives, suspensions de séances, demandes de prolongations... Pas toujours simple de suivre ce qui se joue actuellement à l’Assemblée nationale. France 24 fait le point pour mieux comprendre les prochaines étapes de l’examen de la réforme des retraites.
Les débats sur la réforme des retraites s’achèvent vendredi 17 février à minuit, alors même que la grande majorité des textes n’a pas été votée. Entre la commission et l’hémicycle, les députés disposent en première lecture d’un délai de 20 jours pour examiner la réforme. Arrivé en commission le 30 janvier, le texte doit être examiné avant le samedi 18 février, ramené à vendredi, puisque l'Assemblée ne siège pas le week-end.
Situation inédite : c’est la première fois que la lecture d'un texte sera interrompue car le délai constitutionnel est atteint. En pareille circonstance, "le texte passe tout de même au Sénat, explique Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur agrégé de droit public. "Il peut être transmis en l'état devant les sénateurs, avec ou sans les amendements adoptés par l'Assemblée. Le gouvernement peut aussi choisir de présenter les articles qui ont été rejetés par les députés."
Le texte doit arriver au Sénat le 28 février en commission et le 2 mars en séance. Cette seconde chambre parlementaire débattra le texte pendant 15 jour (soit jusqu'au 12 mars à minuit). Comme à l'Assemblée nationale, même si l'examen n'est pas fini, le texte quittera malgré tout les bancs du Sénat pour aller en commission paritaire mixte, composée de députés et de sénateurs, qui prennent le relais, pour tenter de rapprocher les points de vue. À l’issue de ces débats, la réforme des retraites, pour être adoptée, devra être votée à la majorité à l'Assemblée puis au Sénat. Si le texte n'obtient pas assez de votes, un processus dit de "navette" commencera. Le projet de loi fera des allers-retours entre les instances du Parlement et des amendements y seront ajoutés, modifiés ou supprimés, au plus tard jusqu'au 26 mars.
Ces délais stricts sont le fait du gouvernement. L’exécutif a en effet choisi de faire passer sa réforme majeure par un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale et d'utiliser l'article 47.1 de la Constitution pour contraindre le travail des parlementaires. Cet article fixe un délai de 50 jours pour voter les projets de loi de financement de la sécurité sociale.
De fait, si le 26 mars à minuit, le Sénat et l'Assemblée n'ont pas voté la version définitive du texte, alors le gouvernement pourra mettre en œuvre la réforme : soit par ordonnances comme indiqué à l’article 47-1 de la Constitution utilisé par l’exécutif. Soit en dégainant l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le texte sans vote.
Sur une telle réforme phare, personne ne le souhaite dans le camp présidentiel, de crainte d'être affaibli. La majorité assure depuis le début des débats qu’elle fera tout pour l'éviter, en faisant quelques concessions à la droite notamment.
Pourquoi ces milliers d’amendements déposés par l’opposition ?
Le recours du gouvernement à l'article 47.1, bien qu'autorisé et encadré par la Constitution, n’a pas été du goût de l’opposition. Et notamment des élus de la Nupes qui y ont vu là une manœuvre de l’exécutif destinée à écourter le débat parlementaire. Ils ont alors déposé des milliers d’amendements pour empêcher à terme que le texte ne soit adopté.
À l’origine, les amendements ont pour but de corriger et faire évoluer un texte. Quand ils sont rédigés par centaines, en changeant un simple mot ou un chiffre, leur vocation initiale est détournée pour enliser le débat parlementaire et donner à la rue le temps de se mobiliser pour peser dans la balance. Mais la pratique est risquée. "Cette stratégie d’obstruction est contre-productive car elle empêche les députés de débattre des textes et éclipse le débat de fond et, in fine, décrédibilise le Parlement," poursuit le juriste.
Toujours est-il que ces amendements ont ralenti le processus d'examen du texte, si bien qu'il a fallu attendre le 10 février pour que les députés se prononcent enfin sur le premier article du projet de loi.
Qu’est-ce qui a déjà été voté ?
Sur les 20 articles que comprend le projet de loi, seuls deux ont pour l'instant fait l'objet d'un vote. L’article 1, qui porte sur la fin des régimes spéciaux, a été adopté le 10 février par 181 voix (163 contre). Pour rappel, la RATP, les industries électriques et gazières, la Banque de France et les clercs et employés de notaires verront des singularités effacées de leurs indemnisations.
🇫🇷🏛 #DirectAN 🏛🇫🇷
Nous avons adopté par 181 voix contre 163 l'article 1 de la réforme des retraites, qui met fin à une partie des régimes spéciaux. #ReformeDesRetraites
👉 Malgré les outrances et l’obstruction, nous avançons, pour l’harmonie et la justice entre les français 🇫🇷 pic.twitter.com/sT1PzFui7w
L’article 2, qui prévoyait la création d'un "index senior" dans les entreprises, a lui été rejeté le 14 février par 256 voix (203 pour et 8 abstentions). Dans le détail, les entreprises de plus de 1000 salariés auraient dû publier cet index dès novembre prochain – avant que l'obligation soit élargie aux structures de plus de 300 salariés à partir de juillet 2024. Cet index senior n'est pas définitivement enterré. Il pourrait refaire surface dans la suite de la navette parlementaire.
L’Assemblée Nationale vient de rejeter l’article 2 index senior !
La contre réforme en repoussant de 2 ans l’âge légal de départ en retraite est une fabrique à précariser les seniors, 1ers virés, jamais embauchés.
Exigeons le retrait !#greve16fevrier #greve7mars pic.twitter.com/6lSYYSQGeB
Qu’est-ce qu’il reste à voter ?
Les 18 articles restants. Les articles 3, 4, 5 et 6 portent sur les "dispositions relatives aux dépenses de la sécurité sociale". Régimes complémentaires, Agirc-Arrco, tableau d'équilibre, dette... cette partie concerne le pan économique du projet de loi et vise à justifier sa viabilité sur le long terme. Le gouvernement juge ces quatre textes nécessaires pour simplifier les démarches des entreprises et gagner en efficacité.
Il est dans toutes les bouches et de toutes les pancartes : l’épineux article 7 sur l'âge de départ à la retraite n’a pas été voté. "Au premier alinéa, le nombre soixante-deux est remplacé par le nombre soixante-quatre", suggère-t-on dans le texte. Il est le principal point de crispation de la réforme entre le gouvernement et l'opposition. Mais l'article 8 sur les carrières longues, l'article 9 sur la pénibilité ou l’article 10 sur les pensions minimales pourraient également animer les esprits.

Est-ce que le temps du débat peut être rallongé ?
Initialement, la loi prévoit un délai de 20 jours pour le passage en première lecture à l'Assemblée nationale. Mais des députés de l’opposition, notamment de La France insoumise, ont fait valoir la possibilité de prolonger les débats. Certains d’entre eux réclament la poursuite des que les discussions parlementaires se poursuivent au-delà de vendredi minuit.
Cette option s’envisage à deux conditions : il faut d’abord que le gouvernement l’accepte s’il estime que ce temps additionnel est nécessaire. Il faut ensuite que ce dépassement ne remette pas en cause les conditions d'examen du texte par le Sénat. "Si l’exécutif acceptait de prolonger les débats ce week-end, ce ne serait certainement pas pour poursuivre les discussions stériles de l’obstruction, opine Jean-Philippe Derosier. Il faudrait pour ce faire que chacun prenne ses responsabilités. Que ceux qui bloquent le débat lèvent leurs obstructions en retirant des amendements inutiles et dans le même temps, que le gouvernement et la majorité accordent un délai supplémentaire pour prolonger le dialogue."
La motion de censure déposée par le Rassemblement national peut-elle changer les choses ?
Non, répondent tous les spécialistes interrogés à ce sujet. La motion de censure déposée par les députés RN sera débattue après minuit devant l'Assemblée nationale, à l'issue des débats sur le projet de réforme des retraites. La conférence des présidents de l'Assemblée a acté cet horaire, qui devrait conduire à un vote sur la motion vers 2h ou 3h du matin, au terme de deux semaines d'échanges épiques sur le très contesté projet gouvernemental.
Mais elle n'a aucune chance de passer. "Pour être adoptée, une motion de censure doit être votée par la majorité absolue des membres de l’Assemblée. Seuls les députés favorables à l'adoption de la motion de censure participent au vote. Or il n’est pas possible qu'elle recueille le nombre de 289 votes dans la mesure où la gauche a déjà fait savoir qu'elle n'apporterait pas ses voix. Et il est tout aussi certains que les Républicains ne voteront pas non plus."