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Guerre en Ukraine : entre Zelensky et Macron, un an de relations tumultueuses

L’OTAN et ses partenaires seront réunis vendredi à Munich pour renforcer leur aide à l’Ukraine. À cette occasion, Emmanuel Macron compte dresser "le bilan de la première année du conflit" et rappeler "ce que la France a fait depuis l'agression par la Russie". France 24 revient aussi sur ce qui n'a pas été entre Macron et Zelensky. Décryptage. 

L'anecdote paraîtrait volontiers anodine si elle n'était pas révélatrice de la relation tourmentée qu'entretiennent la France et l'Ukraine depuis bientôt un an. Lorsque Volodymyr Zelensky a entamé une deuxième tournée européenne en se rendant à Londres le 8 février, la France n'a pas lancé d'invitation car elle ignorait tout de sa venue. Ce n'est qu'en voyant les images du président ukrainien au Westminster Hall de Londres que les services de l'Élysée se sont activés pour organiser à la hâte une rencontre avec Emmanuel Macron le lendemain. Le président français prévoyait initialement de se rendre au théâtre avec son épouse.

Ce contre-temps – l'Élysée prévoyait d'inviter le président ukrainien quelques jours plus tard – illustre les nombreuses occasions manquées et les incompréhensions qui ont jalonné les relations franco-ukrainiennes depuis le début du conflit, le 24 février 2022.  

Hommage à l’Ukraine et à son peuple.
Hommage à toi, cher Volodymyr, pour ton courage et ton engagement. pic.twitter.com/6sN2iVUWrl

— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) February 9, 2023

Une position modérée décriée par Kiev 

Les premières incompréhensions remontent au moment où Emmanuel Macron appelait à maintenir le dialogue avec Moscou. "Nous aurons demain une paix à bâtir, ne l'oublions jamais. Nous aurons à le faire avec, autour de la table, l'Ukraine et la Russie (...) Mais cela ne se fera ni dans la négation, ni dans l'exclusion de l'un, l'autre, ni même dans l'humiliation", souligne le président français le 9 mai, au cours d'une conférence de presse au Parlement européen, à Strasbourg. Ce discours modéré, prononcé en référence au "diktat" imposé en 1919 à l'Allemagne par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale, et qui débouchera sur une nouvelle guerre mondiale en 1939-45, passe mal à Kiev. La réponse du ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, est cinglante. "Les appels à éviter d'humilier la Russie ne peuvent qu'humilier la France ou tout autre pays. Car c'est la Russie qui s'humilie. Nous ferions tous mieux de nous concentrer sur la façon de remettre la Russie à sa place. Cela apportera la paix et sauvera des vies."  

Une pluie de commentaires acerbes émanant des pays de l'Est et des pays baltes s'abat alors sur le président incompris. "Si le positionnement français vis-à-vis de la Russie a pu être critiqué par Kiev et d'autres capitales, il n'a pas été remis en cause en France, nuance Arnaud Benedetti, politologue et professeur associé à l'Université Paris-Sorbonne. Il y a une forme de consensus de l'opinion française et de la classe politique dans son ensemble, à quelques minorités atlantistes près. Les Français, opposés dans leur grande majorité à la Russie, veulent privilégier la voie diplomatique autant que possible. Cette volonté française de recourir au dialogue plutôt qu'au conflit armé s'explique en partie par son passé : la France, qui a connu la guerre sur son territoire, a conservé de son passé une forme de résilience." 

Une faible participation militaire de la France 

C'est portée par cette même logique que la France a moins contribué à l'approvisionnement en armes que d'autres alliés occidentaux. Avec un bataillon de 31 chars Abrams de fabrication américaine et une aide de deux milliards de dollars d'armes et d'équipements militaires (soit 1,8 milliard d'euros), l'armée américaine est de loin la plus grande alliée militaire de l'Ukraine. Elle est suivie de près par le Royaume-Uni qui a donné plus de 7 milliards d'euros et 14 chars Challenger 2 mi-janvier. Puis de l'Allemagne, qui a lâché 2 milliards d'euros et 14 chars Léopards 2, sous la pression très insistante de Kiev. La France, pourtant première puissance militaire d'Europe continentale, n'a remis que 1,4 milliard d'euros et 30 canons Caesar à Kiev. 

Un don plus modeste qui, rapporté à la part du PIB, la place en dessous des autres donateurs européens. "La moindre contribution de Paris s'explique, là aussi, par son histoire. La France, plus timorée dans son engagement matériel, n'a pas le même passé avec la Russie que les États-Unis et le Royaume-Uni, poursuit François Benedetti. Les restes de la Guerre froide expliquent les positions plus tranchées de Washington et de Londres depuis le début de la guerre." 

Si les efforts français sont salués par Kiev, ils ne semblent pas pleinement satisfaire Volodymyr Zelensky qui multiplie les appels à fournir davantage d'armes, notamment des avions de chasse, et plus vite. Des demandes réitérées qui se heurtent, là encore, au pragmatisme du président français. "Je suis convaincu qu'il faut privilégier les livraisons utiles pour mener ces opérations et résister, plutôt que des engagements qui arriveront très tard ou très loin", se justifie Emmanuel Macron le 9 février à l'issue du passage de Zelensky à Bruxelles, nourrissant un peu le dépit de l'Ukraine. 

La France écartée d'un accord en cours entre Londres et Kiev 

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le Royaume-Uni ait la préférence des autorités ukrainiennes pour nouer un important contrat de fabrication d'armes et de véhicules militaires sur le sol ukrainien. Si rien n'est officiel à ce stade, des émissaires britanniques se seraient déjà rendus en Ukraine pour étudier la création de coentreprises qui construiraient des armements sous licence britannique, selon des révélations du Telegraph du 11 février. Un tel accord pourrait resserrer un peu plus les relations de défense déjà étroites entre les deux pays. Et éloigner une nouvelle fois la France de ses relations avec Kiev. 

Depuis quelques jours pourtant, il semble que les relations entre Kiev et Paris soient en train d'évoluer. La prudente rhétorique d'Emmanuel Macron a laissé place à un discours plus ferme à l'égard de la Russie. Dans ses déclarations du 8 février, le chef de l'État français a évoqué sa volonté "d'assurer la défaite de la Russie" et promet d'accompagner l'Ukraine vers la "victoire". "Des mots qui appartiennent au registre militaire et qui placent Emmanuel Macron en co-belligérant", selon le politologue.

Parallèlement, les appels téléphoniques avec Moscou se sont raréfiés. Aucune discussion téléphonique n'a été rapportée entre l'Élysée et le Kremlin depuis le mois de septembre. 

Changement de ton à Paris

"Emmanuel Macron semble en effet quitter le costume du diplomate pour prendre celui de chef de guerre, analyse Arnaud Benedetti. Probablement parce qu'il se rend compte que la Russie est allée trop loin et que les ressorts de la diplomatie sont épuisés". Et de manière plus prosaïque, c'est aussi une manière pour lui "de réinvestir la stature de chef de guerre pour créer les conditions d'unité autour de sa personne, à l'heure la France traverse un mouvement social contre la réforme des retraites." 

Ce changement de ton n'a pas échappé à Volodymyr Zelensky. Dans un entretien accordé le 8 février au Figaro et au Spiegel, le président ukrainien est allé jusqu'à affirmer qu'Emmanuel Macron avait évolué. "Je crois qu'il a changé. Et qu'il a changé pour de vrai cette fois. (…) Après tout, c'est lui qui a ouvert la porte aux livraisons de chars. Il a aussi soutenu la candidature de l'Ukraine dans l'UE. Je crois que c'était un vrai signal". À la lecture de l'article, le commentaire a suscité "le discret agacement de l'Élysée", rapporte-t-on dans les colonnes du Monde. Une fois de plus.