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Le football, otage du conflit diplomatique Maroc-Algérie sur le Sahara occidental

Avec le forfait des Lions de l’Atlas au championnat d'Afrique des nations (CHAN), le bras de fer diplomatique entre le Maroc et l'Algérie se poursuit sur le terrain sportif, avec en toile de fond, la question du Sahara occidental et l'organisation de la CAN-2025. Décryptage.

Le Maroc, double champion en titre du CHAN ne défendra pas sa couronne. Le bras de fer diplomatique entre l’Algérie et son voisin marocain s'est déplacé sur le terrain sportif avec la décision des Lions de l’Atlas de renoncer à ce tournoi de football africain, mettant en lumière les joueurs des championnats locaux, qui se déroule jusqu’au 4 février. 

Les Lions de l’Atlas ont fait une croix sur leur participation au CHAN, le 13 janvier, faute d'avoir reçu une autorisation des autorités algériennes pour un vol direct de Rabat à Constantine.

Avec un certain sens de la mise en scène, la sélection marocaine s’est rendue à l'aéroport Rabat-Salé et a attendu dans un salon d’honneur l’autorisation de vol. Les joueurs ont finalement quitté l’aéroport en car, le président de la Fédération marocaine de football (FRMF), Fouzi Lekjaa, déclarant au passage : "Il est très malheureux de priver l'équipe nationale marocaine, qui se préparait sérieusement depuis six mois pour participer au CHAN et défendre son titre."

“Des appareils d’État inflexibles ”

"Entre le Maroc et l’Algérie, tout est prétexte au conflit diplomatique", rappelle Pierre Vermeren, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste des deux pays. "C’est un énième round qui fait feu de tout bois avec des appareils d’État inflexibles qui pensent chacun être dans leur bon droit."

La tension est encore montée d'un cran lors de la cérémonie d’ouverture de la compétition. Dans le stade Nelson Mandela, inauguré le 7 janvier dans le sud-est d’Alger, le petit-fils de l’icône africaine, Mandla, partisan des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, a appelé à "lutter pour libérer le Sahara occidental de l'oppression", qualifiant ce territoire de "dernière colonie d'Afrique". Invité d’honneur de l’Algérie dans le stade qui porte le nom de son grand-père, Mandla Mandela a également mis de l’huile sur le feu en exhortant à "libérer la Palestine" – une critique ouverte du Maroc qui a normalisé ses relations avec Israël il y a deux ans. 

🇿🇦 Mandla Mandela (grandson of Nelson Mandela): “Let us not forget the last colony of Africa: Western Sahara. Let us fight to free Western Sahara from oppression. Let us also remember Mothiba said our freedom is incomplete without the freedom of Palestine .. Free, Free Palestine” pic.twitter.com/JcKmtjZC9p

— Algeria FC 🇩🇿⚽️ (@Algeria_FC) January 13, 2023

Furieux, le Maroc a aussitôt condamné des "agissements malveillants" et des "manœuvres abjectes". La Confédération africaine de football (CAF), l’instance organisatrice de la compétition, a annoncé, pour sa part, une enquête et rappelé son statut d'"organisation politiquement neutre".

“Des relations exécrables dès le départ” en raison du Sahara

En abordant la question du Sahara occidental, il faut dire que le petit-fils de Nelson Mandela a appuyé là où ça fait mal. Cette ancienne colonie espagnole, que se disputent depuis des décennies le Maroc et le Front Polisario, est considérée comme un "territoire non autonome" par l'ONU. Le royaume chérifien en contrôle 80 % et prône une autonomie sous sa seule souveraineté, tandis que le Polisario, soutenu par l'Algérie, réclame un référendum d'autodétermination.

“Le Sahara est toujours LE problème entre les deux pays. C’est lui qui a donné lieu à la guerre, c’est lui qui a donné lieu à un conflit diplomatique permanent”, explique l’auteur du "Maroc en 100 questions" (ed. Tallandier) et "Histoire de l’Algérie contemporaine" (ed. Nouveau Monde).

“Le conflit est latent entre l’Algérie et le Maroc depuis 1963 et la guerre des Sables. Lors de cette guerre, le Maroc a attaqué l’Algérie fraîchement indépendante pour récupérer Tindouf et les oasis de l’ouest algérien. La guerre tourne court mais installe dès le départ des relations exécrables entre les deux voisins”, détaille Pierre Vermeren. “Depuis, c’est une succession de crises et même de guerres.”

Entre 1976 et 1991, les deux pays s’opposent indirectement dans la guerre du Sahara occidental. La fin des années 1980 laisse planer l’espoir d’une détente avec la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA), une organisation politico-économique comprenant l’Algérie, le Maroc, la Libye, la Tunisie et la Mauritanie. Mais le conflit reprend de plus belle après l’attentat de Marrakech de 1994, qui conduit à une fermeture des frontières entre les deux pays. 

Alger et Rabat rompent leurs relations diplomatiques en septembre 2021. La conséquence d’une normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël obtenue en fin de mandat par le président américain Donald Trump en échange d’une reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Depuis, Alger a fermé son espace aérien à tous les avions marocains.

De Adidas à la Coupe du monde au Qatar

Pas étonnant donc que le conflit s’invite aussi dans le sport et notamment le football. Le 29 septembre 2022, un avocat marocain, appuyé par le gouvernement, met en demeure l'équipementier allemand Adidas pour “appropriation culturelle”. En cause : le troisième maillot de la sélection algérienne qui reprend des motifs inspirés du zellige, une mosaïque de la région. La marque aux trois bandes s’excuse, avançant une inspiration d’un patrimoine maghrébin et non spécifiquement marocain.

De son côté, l’Algérie n’est pas avare en vexations. Durant la Coupe du monde au Qatar, les médias locaux taisent longtemps le parcours historique des Lions de l’Atlas. L’agence de presse officielle n’y fait pas mention tandis que le directeur général de la télévision publique est limogé peu après avoir diffusé des images de la qualification historique du Maroc pour les demi-finales. Toutefois, dans un reportage, le Monde relativise en rappelant que loin des cercles de pouvoir, les Algériens sont plutôt heureux du parcours de leur voisin.

La CAN-2025 en ligne de mire

Ce conflit diplomatique “n’est pas spécifique au sport mais c’est emblématique”, note Pierre Vermeren qui ajoute que ces dernières années, les deux pays tentent de jouer la carte du soft power.

“Le Maroc a réorienté, depuis une dizaine d’années, sa politique extérieure. L’Afrique a pris une grande importance dans les discours et les actions internationales de ce pays”, explique le spécialiste du Maghreb. 

Le beau parcours des Lions de l’Atlas et les discours de Walid Regragui en sont une illustration. À de multiples reprises, l’entraîneur a rappelé que sa sélection se voyait en porte-drapeaux “des Marocains mais aussi du Maghreb et de l’Afrique”.

"En face, l’Algérie mise davantage sur les relations bilatérales, notamment avec ses voisins du Sahel tout en se positionnant en médiateur dans les conflits”, décrypte Pierre Vermeren. 

Les deux pays se portent également candidats pour accueillir de grands événements, notamment sportifs. L’Algérie, qui vient d’organiser les Jeux Méditerranéens à l’été 2022, enchaîne avec le CHAN. Le Maroc souhaite décrocher le Mondial-2030 de football. Mais surtout, les deux voisins visent l’organisation de la CAN-2025.

"Il y a un objectif de visibilité. Avoir une compétition chez soi en est une bonne occasion", note Pierre Vermeren. 

Dans le cadre de ces candidatures concurrentes, la lutte risque d’être sans merci : "Ça va être la foire d'empoigne pour obtenir la CAN-2025”, résume crûment Pierre Vermeren. “On peut compter sur le Maroc pour capitaliser sur l’exclusion du CHAN. Le fait que la compétition se joue sans l’actuelle meilleure équipe d’Afrique ridiculise l’Algérie aux yeux du Maroc. L’épisode peut influencer le choix du pays-hôte, mais ce n’est qu’un épisode d’une longue chaîne de tension récurrentes pour apparaître comme leader en Afrique.”

Et de conclure à propos des tensions sempiternelles : En ce qui concerne le Sahara occidental, “la situation est complètement bloquée, malgré des tentatives d’interventions de puissances extérieures. Chacun est dans son rail et cette crise générale interdit la construction d’un Maghreb uni, cela fragilise la région et appauvrit les peuples en empêchant des échanges.”