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"En Biélorussie, le régime se renforce au prix de la souveraineté du pays"

Participant depuis lundi et jusqu’à la fin du mois à des "manœuvres défensives" avec Moscou, la Biélorussie poursuit son rôle de base arrière de la Russie sans toutefois entrer en guerre. Une posture délicate, qui permet au président Alexandre Loukachenko de renforcer son pouvoir, malgré l'atteinte à la souveraineté de son pays. 

La Biélorussie participe, depuis lundi 16 janvier, à des "manœuvres défensives" organisées sur son territoire avec la Russie, une étape supplémentaire dans le soutien fourni à Moscou par son ultime allié en Europe. Le pays, dirigé par Alexandre Loukachenko depuis 1994, sert ainsi de base arrière à la Russie. En octobre, il accueillait déjà près de 9 000 soldats russes, tout en soignant les blessés et en fournissant du matériel et un soutien logistique.

"Alexandre Loukachenko use de toutes sortes de subterfuges pour contenir la pression de Poutine, sans accentuer le mécontentement de sa propre population, qui ne veut pas entrer en guerre. Il est en quelque sorte pris en étau", observe la journaliste et historienne Galia Ackerman.   

"Loukachenko parvient pour le moment à jouer un jeu habile"

Car si la Russie dément réclamer une entrée en guerre de la Biélorussie, les observateurs affirment que les demandes de Moscou se font de plus en plus pressantes ces derniers mois. Vladimir Poutine s'est ainsi rendu à Minsk en décembre dernier, une première en trois ans. Mais participer directement au conflit pourrait se révéler dommageable pour le président biélorusse, trois ans après un important mouvement de contestation et alors que la majorité de la population y est opposée.

"Le président biélorusse est tenu à une grande prudence, poursuit Galia Ackerman. S’il est possible qu’il finisse par se résigner à entrer en guerre, son armée est contre, et une telle décision fragiliserait son pouvoir. Il parvient donc pour le moment à jouer un jeu habile en assurant une sorte de 'service minimum' envers la Russie." 

Une position délicate, alors que la Biélorussie est plus dépendante que jamais de son voisin russe. Le déploiement de soldats russes dans le pays prive en effet le régime du contrôle de son propre territoire : comme il l'a fait au début du conflit, le Kremlin peut décider à tout moment de lancer une nouvelle attaque terrestre en Ukraine depuis la Biélorussie, qui est distante de Kiev d’une centaine de kilomètres. 

Dépendance économique 

La dépendance économique extrême du pays envers la Russie a également été renforcée par les mesures prises pour sanctionner la répression du mouvement de contestation de 2020. La Biélorussie dépend ainsi de la Russie pour le pétrole et le gaz, mais aussi pour l’export de ses produits manufacturés, comme les tracteurs, inadaptés au marché occidental.

"La majorité des échanges biélorusses passent par la Russie, rapporte la maîtresse de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne Olga Gille-Belova. La Biélorussie a d’ailleurs souscrit un nouvel emprunt auprès de la Russie en décembre. Mais, en bradant la souveraineté de la Biélorussie, Loukachenko parvient à renforcer son pouvoir personnel. Le régime se renforce au prix de la souveraineté du pays, la guerre en Ukraine lui profite."

Plus de 1 430 prisonniers politiques 

Le président biélorusse peut en effet compter sur le soutien renouvelé de son allié, la Russie ayant absolument besoin de stabilité dans le dernier espace ami qu’il lui reste en Europe. Loin des doutes de 2020, Loukachenko peut maintenant compter sur l'appui du Kremlin, qui lui semble assuré. 

Un argument de poids, renforcé encore par l’isolement du pays sur la scène internationale, qui coupe l’opposition en exil de tout contact avec la population.

"Si le mécontentement persiste dans le pays, la guerre et la répression empêchent la société civile de se mobiliser, développe Olga Gille-Belova. Le ‘nouveau rideau de fer’ qui s'est abattu sur la Russie et la Biélorussie protège finalement Loukachenko, en mettant l’opposition à distance."

Le régime en profite d'ailleurs pour parfaire la violente répression qu'il déploie contre toute contestation depuis l'élection présidentielle du 9 août 2020, jugée frauduleuse par la communauté internationale.

Réfugiée à Vilnius, en Lituanie, la leader de l’opposition en exil Svetlana Tikhanovskaïa est ainsi jugée, mardi, par contumace, à Minsk, une modalité permise par l’adoption d’une loi en juillet 2022. Elle encourt jusqu'à 20 ans de prison, et sa citoyenneté pourra en outre lui être retirée, grâce à un décret signé le 5 janvier. 

Un procès politique, dans la suite de ceux organisés la semaine dernière, à l'encontre du prix Nobel de la paix Ales Bialiatski et des journalistes de l'ancien site Internet Tut.by. Une vague de répression, loin de s'arrêter : selon l'ONG biélorusse Viasna, il y a 1 439 prisonniers politiques détenus en ce moment en Biélorussie, pour 9,34 millions d'habitants.