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Pourquoi la Chine se laisse tenter par le pétrole des Taliban

Une société chinoise a signé un accord avec les Taliban pour l’exploitation du pétrole dans une zone fluviale du nord de l'Afghanistan. C’est le premier contrat commercial majeur conclu par les fondamentalistes islamistes avec une société étrangère depuis leur arrivée au pouvoir en 2021.

Les Taliban attendaient cela depuis longtemps. Depuis leur retour au pouvoir en Afghanistan, le 15 août 2021, pour être précis. Le 5 janvier, les autorités ont annoncé signature du premier accord commercial majeur avec une société étrangère. 

Le groupe chinois Central Asia Petroleum and Gas Co (CAPEIC) a obtenu les droits d'exploitation pétrolière pendant 25 ans dans la région du bassin de l'Amou-Daria, un fleuve qui sert de frontière naturelle entre l'Afghanistan, le Turkménistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan.

Les Taliban, des partenaires sérieux ?

Le contrat pétrolier "est un projet important entre la Chine et l'Afghanistan", a insisté Wang Yu, l'ambassadeur chinois en Afghanistan, lors de la cérémonie de signature. Cet accord inédit prévoit que CAPEIC - une entité créée au début des années 2000 par la China National Petroleum Corporation (CNPC), le principal géant chinois du pétrole - investira 150 millions de dollars la première année d'exploitation, puis 540 millions d'euros sur les trois années suivantes.

"Environ 3 000 Afghans auront du travail grâce à ce projet", s'est enthousiasmé Zabihullah Mujahid, porte-parole du régime des Taliban. 

Pour les fondamentalistes islamistes au pouvoir à Kaboul, cet accord représente bien plus qu'une histoire d'or noir censé créer des milliers d'emplois. C'est un "premier exemple que les Taliban peuvent brandir pour tenter de convaincre d'autres éventuels partenaires qu'ils sont responsables et peuvent être pris au sérieux", analyse Raffaello Pantucci, spécialiste des relations de la Chine avec les pays d'Asie centrale à la S. Rajaratnam School of International Studies de Singapour.

Depuis leur retour à la tête du pays en août 2021, les Taliban, en effet, ne sont pas reconnus officiellement par le moindre pays, y compris par la Chine. Une absence de légitimité internationale – accompagnée d'une franche hostilité de la plupart des pays occidentaux – qui a largement contribué à mettre l'Afghanistan au ban du commerce mondial.

Pourtant, les Taliban n'ont eu de cesse de faire des appels du pied aux pays étrangers avec comme "rêve ultime de convaincre une société occidentale d'investir dans le pays", note Raffaello Pantucci. Mais avant d'espérer décrocher la lune, Kaboul a surtout fait les yeux doux à la Chine, perçue comme la grande puissance la moins hostile à l'égard du gouvernement taliban. 

Pékin s'était montré ouvert par le passé à l'établissement de relations commerciales avec ces fondamentalistes musulmans. Lors du premier règne des Taliban - entre 1996 et 2001 -, des groupes chinois s'étaient intéressés à deux grands chantiers : l'exploitation de la très importante mine de cuivre proche du site archéologique de Mes Aynak (35 km au sud de Kaboul), et, déjà, des gisements de pétrole du bassin de l'Amou-Daria.

Les Taliban espéraient une signature rapide pour au moins l'un de ces deux projets avec la Chine. Mais depuis 2021, même Pékin semble avancer ses intérêts économiques à reculons en Afghanistan. "Il y a eu des contacts avec quelques entreprises privées seulement – rien avec des grands consortiums publics –, mais même celles-ci ont commencé à se retirer du pays", souligne Raffaello Pantucci.  

Pour la Chine le problème est double : toutes les infrastructures ou presque sont à construire ou à reconstruire, et le pays est encore loin d'offrir une stabilité suffisante pour garantir la sécurité des installations industrielles.

Cheval de Troie énergétique

Une timidité économique chinoise qui "a beaucoup frustré les Taliban", a assuré le South China Morning Post. "Nous n'avons pas vu la couleur du moindre penny d'investissement chinois", a déploré Khan Jan Alokozay, le vice-Président de la Chambre de commerce afghane, fin septembre

La signature du projet d'exploitation pétrolière avec la CAPEIC marque la fin de cette attente. Et pour la Chine non plus, ce n'est pas qu'une question d'or noir.

Certes, "avec la dépendance de la Chine aux importations de pétrole – qui couvrent près de 70 % de ses besoins en hydrocarbures –, Pékin ne va pas passer à côté de la possibilité de sécuriser une source d'approvisionnement", rappelle Jean-François Dufour, expert de l'économie chinoise et cofondateur de Sinopole, un centre de ressources sur la Chine.

Mais le bassin de l'Amou-Daria ne déborde pas non plus de pétrole. Une étude géologique américaine du potentiel de cette région a conclu à son intérêt tout relatif… pour le seul pétrole. 

En revanche, c'est une zone qui regorge de gaz. Ce serait le troisième bassin gazier le plus important au monde après celui de Sibérie et celui du golfe Persique, d'après une étude de 2019 de PetroChina.

Payer le prix du calme au Xinjiang ?

La Chine a d'ailleurs commencé à exploiter le gaz du côté du Turkménistan et "il y a de très fortes chances que les ingénieurs aient dit à leurs supérieurs que le champ gazier ne s'arrêtait pas à la frontière avec l'Afghanistan", note Raffaello Pantucci. Dans ce contexte, l'accord pétrolier avec l'Afghanistan serait une sorte de cheval de Troie énergétique. "Si du gaz est découvert, les Chinois, déjà présents sur place, espèrent être aux premières loges pour l'exploiter", ajoute cet expert.

Mais ce n'est pas seulement une question économique pour Pékin. Le régime espère aussi "s'acheter une garantie en ce qui concerne le Xinjiang", note Jean-François Dufour. L'une des principales craintes chinoises avec l'arrivée des Taliban au pouvoir en Afghanistan est que le pays ne devienne une base arrière pour des opérations menées par des militants Ouïghours, la minorité musulmane persécutée dans la région chinoise du Xinjiang.

Les Taliban ont beau avoir répété qu'ils ne toléreraient aucune attaque depuis leur territoire vers la Chine, Pékin estime qu'il faut mieux assurer ses arrières. "Les Chinois espèrent qu'en rendant les Taliban dépendants d'eux pour l'exploitation de leurs ressources, ils pourront agir tranquillement dans le Xinjiang", résume Jean-François Dufour.

Cet accord ressemble donc à une opération gagnant-gagnant pour les deux pays, et les Taliban espèrent que ce n'est que le début d'une collaboration plus fructueuse. En ligne de mire pour eux : la mine de cuivre afghane de Mes Aynak qui est censée contenir à elle seule "près d'un tiers des réserves actuelles de cuivre de la Chine", note Jean-François Dufour.

Pékin va-t-il se laisser séduire par les sirènes minières ? C'est peut-être la dernière raison d'être de ce contrat pétrolier. Il est moins important qu'un éventuel accord sur le cuivre, et la Chine a laissé une entité de second plan s'en occuper. Ce peut être une manière de tester la réaction de la communauté internationale. Si ce rapprochement sino-afghan suscite un émoi, le régime chinois pourra toujours utiliser la CAPEIC comme bouc émissaire. Si personne ne réagit, il sera alors temps d'exploiter la mine de Mes Aynak.