Heinrich XIII - ou “prince de Reuss” - a été désigné comme le probable cerveau du complot d’attentats terroristes contre les institutions allemandes déjoué mercredi. Arrêté le jour même, ce septuagénaire, qui appartient à une très vieille famille d'aristocrates allemands, a épousé les théories complotistes et antisémites du mouvement des "Reichsbürger" ("Citoyens du Reich").
Il est présenté comme le cerveau du projet d'attaque contre les institutions démocratiques allemandes qui vient d’être déjoué en Allemagne. Et quel “cerveau” ! À la tête d’un groupe d’une petite cinquantaine de personnes, dont plus de 20 ont été interpellées mercredi 7 décembre, Heinrich XIII pensait pouvoir renverser le gouvernement de la première puissance économique d’Europe.
De quoi plonger tout le pays en état de choc. Les Allemands sont abasourdis de découvrir qu’une tentative de coup d’État était en préparation, et se demandent si ces quelques extrémistes visiblement nourris au biberon du complotisme croyaient vraiment en leur chance de réussite. “Ok, on peut dire que ce sont des fous - ce groupe était à des kilomètres de pouvoir renverser nos institutions -, mais ce serait une erreur d’en rire”, tient à avertir dans un éditorial Michael Götschenberg, l’expert en terrorisme de l’ARD, la première chaîne de télévision allemande.
Rêve de monarchie
Heinrich XIII incarne parfaitement cette double dimension : cet aristocrate de 71 ans désigné par les enquêteurs comme le leader probable de cette cellule terroriste, semblait mué par une froide détermination, alliée à une sorte de folie des grandeurs qui ne fait que peu de cas des réalités.
Lors de la perquisition de son domicile à Francfort (centre de l’Allemagne), effectuée mercredi, les enquêteurs ont affirmé avoir trouvé des documents attestant de la finalité de cette entreprise qualifiée de “terroriste”. Heinrich XIII avait une idée très précise de l’après.
Il se voyait à la tête d’une nouvelle monarchie allemande ou de l'Empire allemand restauré. Des anciens militaires, membres du groupe, avaient été chargés de préparer le terrain en mettant en place une “nouvelle armée” loyale au futur régime. Il avait également organisé plusieurs réunions avec ses co-conspirateurs dans le château qu’il détient à Bad Lobenstein, un village de Thuringe.
Heinrich XIII avait aussi échafaudé des plans pour négocier une reconnaissance de cette nouvelle Allemagne avec les “puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale”. Des contacts avec la Russie auraient même déjà été pris, affirment plusieurs médias allemands en citant des sources proches de l’enquête. Moscou s’est d’ailleurs empressé, mercredi, d’assurer n’avoir aucun lien avec cette organisation “terroriste et illégale”.
Ces plans d’actions terroristes risquent de faire des vagues dans le petit milieu des descendants de la noblesse allemande, forte d’environ 80 000 membres. Escorté par des policiers hors de son domicile, Heinrich XIII, cheveux gris coiffé en arrière, veste à carreaux et petit foulard bon chic bon genre, fait en effet davantage penser à un habitué des chasses à courre, plutôt qu’à un illuminé du complotisme fourré à longueur de journée sur d’obscurs forums Internet – à moins que les deux ne soient pas incompatibles.
Dans l'ombre de Heinrich XXVII et Heinrich XIV
Si la noblesse a été officiellement abolie en Allemagne en 1919, Heinrich XIII ne manque pas une occasion pour se présenter comme un aristocrate appartenant à la famille Reuss, “vieille d’environ 1 000 ans”. Dans plusieurs vidéos YouTube, il se fait d’ailleurs appeler Heinrich XIII, prince Reuss.
Cette maison a, certes, des racines anciennes, mais qui ne remonte qu’à environ 800 ans. En 1918, elle était encore à la tête d’un territoire qui recouvre l’actuel Land (région administrative allemande) de Thuringe (centre-est de l’Allemagne).
À l’époque, le dirigeant de ce territoire s’appelait Heinrich XXVII, tandis que l’actuel chef de la Maison se nomme Heinrich XIV et que son successeur désigné est Heinrich…XXIX. C’est la particularité de cette lignée : tous les hommes de la famille doivent se prénommer Heinrich. Ils se distinguent entre eux par un nombre, et tous les premiers enfants mâles Reuss de chaque siècle s’appellent Heinrich I.
Mais s’ils ont tous le même patronyme que le complotiste en chef du groupuscule d’extrême droite, ils semblent ne pas partager ses opinions. Heinrich XIV avait récemment indiqué que son parent éloigné Heinrich XIII avait coupé les ponts avec sa famille depuis des années. Il avait précisé que le septuagénaire était “un vieil homme aux idées confuses”.
Heinrich XIII serait le vilain petit canard parmi les 30 autres Heinrich encore en vie de cette famille qui compte une soixantaine de membres. "Dorénavant tout le monde - jusqu'aux États-Unis - va associer notre famille au terrorisme et à la pensée réactionnaire, c'est tout à fait atroce”, s’est désolé Heinrich XIV dans un entretien accordé mercredi à MDR, la chaîne de télévision régionale de Saxe et Thuringe.
Reichsbürger et antisémitisme
Ces idées réactionnaires ont tout à voir avec la mouvance des “Reichsbürger” (“citoyens du Reich”). Tous les membres de la cellule terroriste interpellés semblent d’ailleurs être des sympathisants de ce groupuscule, dont la principale croyance est qu’il n’y a plus d’Allemagne légitime depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils se revendiquent tous soit du IIIe Reich, soit de la république de Weimar ou encore de l’Empire qui a pris fin en 1918 (c’est le cas de Heinrich XIII) et ne reconnaissent pas la constitution de 1949.
Dans une vidéo saisissante de 2020, présentée comme un discours du “prince” devant des représentants de l’ONU à Genève, Heinrich XIII affirme ainsi que l’Allemagne n’a plus de souveraineté depuis 1949 et ne serait rien d’autre qu’une “entreprise privée” dirigée par les puissances extérieures.
Un an plus tôt, il assumait son antisémitisme : à l'en croire, les forces étrangères à l’œuvre en coulisse seraient dirigées par la famille Rothschild, tandis que la Première Guerre mondiale avait pour but principal de permettre la création d’un État juif.
Négation de la réalité de l’État de droit allemand et délires antisémites font partie du manuel de la plupart des Reichsbürger. En 2016 déjà, le meurtre d’un policier par un “Reichsbürger” avait prouvé la dangerosité de cette mouvance. Six ans plus tard, Heinrich XIII et ses acolytes ont démontré à quel point ces croyances pouvaient représenter une menace pour l’État de droit.