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Opep+ : pourquoi l’Arabie saoudite s’apprête à faire grimper les prix du pétrole

Les 23 pays de l’Opep+ devraient décider mercredi d’une baisse importante de la production de pétrole. Cette mesure, qui vise à faire remonter les prix du baril, peut paraître surprenante dans un contexte de flambée des prix de l’énergie. Surtout que l’un des principaux bénéficiaires d’une telle politique serait la Russie. Explication

Ce sont les grandes retrouvailles en chair et en os. Les représentants des pays de l’Opep+ - les 23 principaux producteurs de pétrole - se réunissent en "présentiel", mercredi 5 octobre, à Vienne, pour la première fois depuis le début de la pandémie de Covid-19 en 2020.

Les 13 pays membres de l’Opep - emmenés par l’Arabie saoudite - et leurs 10 alliés producteurs de pétrole, à commencer par la Russie, veulent donner à ce grand raout un cachet aussi solennel que possible pour "souligner l’importance de la décision qui va y être prise", note le Financial Times.

Sauver les pétro-profits

L’écrasante majorité des observateurs s’attend à l’annonce d’une baisse importante des quotas de productions de pétrole afin de doper les prix du brut. Une baisse qui pourrait aller de 500 000 à 1,2 millions de barils en moins par jour.  

"Lors de leur dernière réunion début septembre, les pays de l’Opep avaient déjà envoyé un signal en baissant la production de 100 000 barils par jour", souligne Olivier Appert, expert des questions énergétiques à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Ce n’était qu’une goutte de pétrole en moins dans l’océan des 100 millions de barils produits par jour, mais le but était probablement de préparer les esprits.

La volonté affichée de l’Opep+ de faire grimper les prix a déjà commencé à faire effet. Les seules rumeurs autour de l’annonce probable d’une baisse de la production a entraîné une hausse du cours du brut de 4 % en deux jours. 

Vue d’Europe, cette décision peut paraître paradoxale ou du moins à contre-courant : alors que les prix de l’énergie n’en finissent pas de flamber et l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Russie ou le Venezuéla s’inquiètent pour leurs pétro-profits ?

En réalité, ils ont de quoi. "Les prix du pétrole ont chuté à des niveaux inférieurs à ceux d’avant le déclenchement de la guerre en Ukraine", souligne Olivier Appert.

Cette dégringolade tient en partie à l’entêtement de Pékin à appliquer sa "politique zéro-Covid". Elle a entraîné une forte baisse de l’activité économique et elle a donc rendu la Chine moins énergivore. En outre, la baisse générale de la demande en pétrole à cause d’une économie mondiale qui tourne de plus en plus au ralenti contribue aussi à la chute des prix.

Les prix du pétrole n'ont même pas grimpé en flèche après les sanctions contre la Russie. D'abord, parce que les exportations russes ont aussi "été moins affectées pour l’instant que prévues, puisque d’autres pays, comme l’Inde, ont pris la relève de l’Europe", remarque Olivier Appert. Ce qui fait que l'offre de pétrole n'a pas baissé et que l'or noir ne s'est pas fait plus rare. En plus, dans le contexte de la guerre en Ukraine et des sanctions occidentales, les nouveaux clients de la Russie sont en position de force pour obtenir des ristournes sur le prix du pétrole.

Et il n’y a aucune éclaircie à l’horizon qui pourrait rassurer les pays producteurs de pétrole et de leurs alliés sur une inversion de la tendance. Ils ont donc décidé de prendre les choses en main en misant sur une baisse massive des quotas de production pour mettre un terme à la spirale baissière.

Une politique qui fait le jeu de Riyad… et Moscou

Mais c’est un pari risqué, autant d’un point de vue géopolitique qu’économique. Et surtout pour le chef de file de ce cartel pétrolier : l’Arabie saoudite. 

En effet, Riyad projette depuis des décennies l’image d’un allié indéfectible des États-Unis. Pourtant, sa volonté de soutenir fortement les prix du pétrole dans le contexte actuel va à l’encontre des intérêts stratégiques de Washington. À tel point que "cela pourrait créer un point de rupture [diplomatique] avec les États-Unis", estime le Financial Times. 

D’abord, une hausse des prix pétroliers fragilise les efforts américains d’asphyxier économiquement la Russie. La vente d’or noir était la principale source de revenus tirés des exportations pour Moscou, loin devant le gaz (123 milliards de dollars pour le pétrole en 2019, contre 23 milliards pour le gaz). Toute hausse des prix de cet hydrocarbure aura donc un impact démesuré pour la Russie, quand bien même elle devrait le brader..

L’Arabie saoudite risque donc d’apparaître comme l’allié objectif de la Russie face aux sanctions économiques. Une baisse de la production peut, à ce titre, aider Moscou à continuer à financer sa guerre en Ukraine.

Surtout, ce ne serait pas la première fois que l’Arabie saoudite serait prise la main dans le sac à faire des infidélités diplomatiques à Washington au profit de Moscou, rappelle le New York Times, dans une enquête sur les nouveaux liens russo-saoudiens

Alors que les chars russes s’apprêtaient à traverser la frontière ukrainienne, mi-février, l’Arabie saoudite mettait un point final à une série de juteux investissements - plus de 600 millions de dollars - dans les trois principaux géants russes de l’énergie (Gazprom, Rosneft et Lukoil). Au sein de l’Opec, Riyad milite aussi depuis plusieurs mois pour offrir un rôle plus important à Moscou.

Des gestes bien plus concrets que le "check" très médiatisé entre le président américain Joe Biden et le prince héritier Mohammed ben Salmane en juillet. À part ces photos, le locataire de la Maison Blanche "n’avait pas obtenu grand chose de ce voyage en Arabie saoudite en matière d’engagement sur la production de pétrole", rappelle Olivier Appert.

Au risque de fâcher Washington ?

Comme si cela ne suffisait pas, la probable décision de l’Opep+ de réduire la production de brut arrive au pire moment économique pour les États-Unis. La hausse des prix du pétrole risque de nourrir l’inflation, car elle devrait faire grimper les prix à la pompe. Ce n’est clairement pas une nouvelle qui risque de réjouir Joe Biden et la Réserve fédérale, engagés dans une lutte acharnée pour tenter d’endiguer une inflation qui atteint des niveaux inédits depuis près de 40 ans.

Cette réunion de l’Opep+ pourrait donc exposer au grand jour la fracture diplomatique qui est en train de se créer entre les deux alliés historiques. 

Et ce n'est pas un hasard si l’Arabie saoudite prend maintenant le risque d’apparaître comme le grand méchant du moment pour Washington et ses alliés par hasard. "Il y avait un accord en vigueur depuis 1945 entre les États-Unis et l’Arabie saoudite qui stipulait que le premier assurait la protection du second en contrepartie d’une fourniture en énergie. Mais cette situation a changé, notamment avec l’irruption du gaz et pétrole de schiste aux États-Unis", note Olivier Appert. 

Dorénavant, les États-Unis sont devenus les premiers producteurs au monde de pétrole et ont donc moins besoin de leur partenaire du Golfe. "En 2010 déjà, Barack Obama signalait que le changement de contexte pétrolier lui permettait une plus grande latitude diplomatique à l’égard de l’Arabie saoudite", explique l’expert de l’Ifri.

Riyad l’a bien compris et, en un sens, la facilité avec laquelle le pays s’apprête à prendre une décision qui favorisera ses profits et l’ennemi numéro 1 du moment de Washington illustre cette prise de conscience. 

Riyad semble l'avoir bien compris, comme l'illustre la facilité avec laquelle le pays s’apprête à prendre une décision qui favorisera ses profits et ceux de l’ennemi numéro 1 de Washington.