Lancé le 20 août après de nombreux mois de retard, le "dialogue national inclusif et souverain" au Tchad, censé permettre de réformer les institutions et de mettre en place une nouvelle constitution, peine à convaincre. Les "élections libres et démocratiques", initialement prévues avant octobre 2022, sont désormais un lointain présage.
Présenté comme une étape incontournable pour réformer le pays avant la tenue d’élections, le "dialogue national inclusif et souverain" (DNIS) au Tchad, promis par Mahamat Idriss Déby Itno, après la mort de son père et sa prise de pouvoir en avril 2021, devrait rendre ses conclusions le 30 septembre.
Malgré de laborieuses négociations préparatoires, cette grand-messe, débutée le 20 août dernier, demeure boycottée par deux des trois mouvements rebelles les plus puissants ainsi que par la principale coalition d’opposition du pays.
Une transition… renouvelable
Accusé par l’opposition d’avoir mené un coup d’État en avril 2021, mais adoubé par la communauté internationale, le nouveau dirigeant du Tchad s'était engagé à rendre le pouvoir aux civils au terme d'une transition de 18 mois – soit jusqu'au mois d'octobre 2022 – renouvelable une fois en cas d'échec du dialogue de réconciliation instauré avant la tenue d’élections.
Alors que l'Union africaine avait exigé le respect du calendrier de transition, les autorités tchadiennes avaient annoncé finalement que le dialogue national se tiendrait fin 2021, et que les élections auraient lieu entre juin et septembre. Soit avant la limite des 18 mois.
Plusieurs réformes ont alors été mises en place afin de faciliter le dialogue avec les forces d’opposition, telles que la levée de l’interdiction de manifester ainsi que deux lois d'amnistie générale pour les groupes rebelles et opposants tchadiens. Mais alors que des consultations préparatoires ont été organisées en province et à l’étranger, le dialogue national inclusif a pris du retard.
L’opposition politique maintient la pression
Pour ce "dialogue national inclusif et souverain", les autorités de transition voulaient s’assurer de la participation des membres de la société civile et des partis politiques, dont beaucoup s’estiment marginalisés dans ce pays dirigé depuis des décennies par les militaires. Mais, la principale plateforme d’opposition, Wakit Tama, a mis fin, il y a cinq mois, à ses discussions avec la junte qu’elle juge "illégitime". Elle reproche notamment à Mahamat Idriss Déby d’entretenir le flou quant à sa candidature éventuelle aux élections, alors que la transition doit conduire à un retour des civils au pouvoir. Malgré la répression accrue contre ses militants et l’interdiction des manifestations, Wakit Tama a appelé à de nouvelles mobilisations populaires.
"Il y a au Tchad deux oppositions : l'une est opposante, l’autre est cooptée" explique Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique de l'IFRI. "Wakit Tama a bien conscience que le dialogue national inclusif représente pour elle un piège politique. En boycottant les discussions, cette coalition refuse de jouer le jeu de la junte avec en ligne de mire les élections auxquelles elle espère réaliser une bonne performance. De leur côté, les autorités de transition jouent la montre. Elles veulent s’assurer qu’elles contrôlent suffisamment la situation pour remporter ce scrutin ".
Début septembre, l’Église catholique s’est elle aussi retirée du dialogue national, s’estimant réduite à un rôle de "figuration", suivie par l’Église protestante.
Un accord avec les rebelles accouché dans la douleur
Autre acteur clé et non des moindres, les groupes rebelles armés. Certains, réfugiés à l’étranger, réclamaient des garanties pour revenir au Tchad participer aux échanges, ainsi que la libération de leurs membres détenus.
Un accord a été conclu début août à Doha, après cinq longs mois de négociations, entre les autorités de transition et une quarantaine de groupes rebelles. Mais l’une des principales factions armées, le Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT), responsable de l’attaque qui a causé la mort du maréchal Idriss Déby Itno, avait quant à lui refusé de participer dénonçant "un dialogue biaisé d'avance".
Les négociations avec les groupes armés sont particulièrement difficiles car elles risquent "de légitimer certaines de ces entités, parfois accusées de graves exactions, et pourraient leur permettre de revendiquer un rôle politique au sein des institutions" alertait Jean-Claude Felix-Tchicaya, expert du Sahel et chercheur à l'Institut prospective et sécurité en Europe (Ipse).
Initialement prévue au 20 septembre, la clôture des travaux du "dialogue national inclusif et souverain" a été décalée au 30 septembre. Aucun calendrier prévisionnel n’a pour le moment été annoncé pour la tenue des élections.