L'élection d'Emmanuel Macron en 2017 a permis l'arrivée à l'Assemblée nationale de nombreux députés novices en politique, censés renouveler les pratiques pour "faire de la politique autrement". Cinq ans après, le sociologue Étienne Ollion dresse un bilan mitigé de leur action.
En pleine campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait lancé en 2017 un appel aux citoyens désirant devenir députés. Les candidatures avaient été nombreuses et avaient débouché sur une majorité présidentielle de 308 députés élus sous l’étiquette La République en marche. Parmi eux, quelques personnalités issues de la gauche et de la droite, mais surtout une majorité de députés novices bien décidés, en arrivant à l’Assemblée nationale, à renouveler les pratiques politiques.
Cinq ans après, quel bilan tirer de leur action ? France 24 a interrogé le sociologue Étienne Ollion, directeur de recherche au CNRS et auteur du livre "Les candidats" (Puf, 2021). Selon lui, "changer les visages ne suffit pas si on ne change pas les règles du jeu".
France 24 : Vous avez enquêté sur les députés La République en marche élus en 2017 et en particulier ceux issus de la société civile. Quel bilan général peut-on tirer de leur action ?
Étienne Ollion : Le bilan est assez clair. Si la plupart des députés novices ont été particulièrement actifs en s’investissant pleinement dans leur rôle, ils ont toutefois été rapidement relégués au second plan en terme de capacité d’action. Au sein de La République en marche, les députés qui ont émergé sont ceux qui avaient déjà une expérience en politique, que ce soit comme élu ou comme collaborateur. C’est un élément important à prendre en compte car la promesse d’Emmanuel Macron, en 2017, était de changer les pratiques de la politique en changeant les visages. Or, malgré quelques tentatives pour changer le fonctionnement de l’Assemblée nationale qui n’ont pas abouti, ce discours a disparu. Changer les visages ne suffit pas si on ne change pas les règles du jeu. Finalement, les députés novices se sont retrouvés contraints.
Ces députés ont été moqués à leurs débuts et souvent qualifiés de "députés Playmobil" par l’opposition. Mais Emmanuel Macron les a défendus en leur disant "soyez fiers d’être des amateurs"… A-t-il eu raison ?
C’est vrai, les novices ont été moqués et souvent de manière injuste, car leurs erreurs ne portaient pas à conséquence ou très peu. Quand quelqu’un bégaie car il n’a pas l’habitude de prendre la parole dans l’Hémicycle, ou qu’un autre hésite sur la procédure parlementaire, ce n’est pas bien grave. Et d’ailleurs, les critiques qui portaient sur les gaffes de ces nouveaux venus au palais Bourbon se sont vite arrêtées. Si on veut que la politique soit faite par des gens ordinaires, il ne faut pas s’attendre à ce que tout soit parfait. Quant aux députés "Playmobil", il ne s’agit en réalité que de la version 2017-2022 de l’expression "députés godillots" que l’on pouvait entendre auparavant pour qualifier les députés de la majorité votant systématiquement comme le leur indique le gouvernement. Il n’y a rien de très nouveau.
Pour autant, il n’est pas certain que les députés novices aient pu être "fiers d’être des amateurs" car leur inexpérience les a pénalisés. En arrivant à l’Assemblée nationale, ils n’avaient ni les savoir-faire législatifs, ni les connaissances bien placées – à savoir des collègues à l’Assemblée ou dans les ministères susceptibles de leur donner des conseils ou de les renseigner. Le résultat, c’est que ceux qui savaient quoi faire à l’Assemblée nationale dans les premiers jours et les premières semaines, parce qu’ils étaient déjà en politique avant 2017, se sont retrouvés avec une faible concurrence et ont rapidement pu s’imposer au sein du groupe LREM. Je pense notamment aux anciens jeunes collaborateurs du Parti socialiste comme Sacha Houlié, Pierre Person, Pacôme Rupin ou Aurélien Taché.
Certains novices ont-ils su tirer leur épingle du jeu malgré tout ?
Oui, c’est le cas notamment de députés comme Jean-Baptiste Moreau ou Jean-Baptiste Djebbari, qui a même fini au gouvernement. C’est aussi le cas de Yaël Braun-Pivet, qui est restée à la tête de la commission des lois pendant cinq ans et qui a joué un rôle central dans l’Assemblée nationale, même si ça a parfois pu tanguer. Son cas est intéressant : si elle a su se faire une place, c’est en particulier grâce aux nombreux soutiens dont elle a bénéficié du fait de sa position. Elle avait toute une équipe à sa disposition et était extrêmement bien entourée avec trois administrateurs et les moyens du groupe parlementaire, en plus de ses propres collaborateurs. C’est aussi un cas qui illustre bien qu’avec seulement deux ou trois collaborateurs en temps normal, les députés français n’ont pas les moyens de travailler correctement.
Pour les législatives de 2022, Emmanuel Macron n’a pas renouvelé l’expérience des candidats novices. On voit également que des députés font le choix de ne pas se représenter. Quelle analyse peut-on en tirer ?
En 2017, Emmanuel Macron avait transformé une faiblesse structurelle en une force de communication. Aujourd’hui, il n’en a plus besoin. Environ 70 députés LREM ont choisi de ne pas se représenter pour un deuxième mandat ou n’ont pas reçu l’investiture du parti. Et ces places libres ont été attribuées à des personnes déjà installées dans la vie politique ou dans les structures du pouvoir actuel.
Parmi les partants, certains députés ont été déçus par les orientations politiques et idéologiques prises par Emmanuel Macron. D’autres ont pu constater le peu d’impact du député et la faiblesse du Parlement. Les critiques ont été nombreuses. Yaël Braun-Pivet, qui rempile, a écrit un rapport en décembre 2021 très négatif sur le rôle des parlementaires, estimant qu’il n’était pas possible de continuer comme ça. La députée Annie Chapelier, qui ne se représente pas, a publié, quant à elle, un livre au vitriol intitulé "Un Parlement en toc".
Durant ces cinq années, les députés novices ont finalement servi de révélateurs de ce qu’est la politique aujourd’hui et de ses impacts sur la vie personnelle des élus. C’est un milieu où on ne s’appartient plus, où il y a une dissociation constante entre l’image publique et l’image privée et où la violence est constante, qu’elle soit interne avec pas mal de coups bas entre collègues, ou externes avec des Français en colère qui vous insultent, vous menacent ou, dans certains cas, vont jusqu’à s’en prendre à vous physiquement.