Alors que 15 départements sont déjà soumis à des restrictions d'eau en raison d'une sécheresse précoce, les agriculteurs s'inquiètent pour leurs récoltes. Une menace qui pèse également sur les apiculteurs et leurs abeilles, dont l'alimentation pourrait venir à manquer cet été.
Dans les ruchers de Thomas Devienne, la récolte de printemps "n'a pas été mauvaise". Mais c'est dans les semaines qui viennent que les choses pourraient se gâter. "Il ne faudrait pas que cela continue comme cela", prévient l'apiculteur de la région de Lille, inquiet de voir que "les gazons sont déjà bien brûlés".
À l'image des agriculteurs, les professionnels de la filière apicole ont les yeux rivés sur la météo alors que la France fait face à une sécheresse précoce. Les températures s'envolent depuis le début du mois de mai et le niveau des nappes phréatiques est particulièrement bas pour la saison après un hiver et un automne peu arrosés.
"Compte tenu de la sécheresse et des risques de canicule, nous sommes très inquiets pour la deuxième partie de la saison avec les grande récoltes : châtaignier, tilleul, lavande, sapin...", détaille Henri Clément, porte-parole de l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf).
En 2021, la filière apicole avait connu la pire année de son histoire avec seulement 7 000 à 9 000 tonnes de miel récoltées, en raison de conditions climatiques défavorables, soit moitié moins que l'année précédente.
Un nectar qui se fait rare
S'il est beaucoup trop tôt pour faire des prévisions, dans les Alpes-Maritimes, les conséquences de la sécheresse sont déjà palpables. La récolte de miel a été quasi nulle dans le département au printemps. En cause, des précipitations très faibles mais aussi des températures basses. "Nous avons eu des températures très désagréables de février à avril, avec un gel pénible. Il n'y a pas que la sécheresse, c'est un ensemble de facteurs", nuance l’apiculteur provençal Jean-Louis Lautard.
Si les abeilles ont besoin d'eau pour vivre, elles ont surtout besoin de se nourrir du nectar, un liquide sucré produit par les fleurs. Or, avec le manque d'eau, les plantes ont du mal à pousser, mettant en péril l'alimentation des abeilles. "Si les plantes souffrent, elles ne peuvent pas produire de nectar, empêchant les abeilles de le prélever pour faire du miel", explique Henri Clément.
"Le manque d'eau pour l'animal lui-même est assez rare, le problème vient de la ressource végétale", précise Pascal Jourdan, directeur de l'Association de développement de l'apiculture provençale (Adapi), une structure fondée en 1986, qui mène un travail de recherche autour de l'abeille.
Le manque de nourriture a ensuite des conséquences sur la population des ruches. En période de disette, la reine réduit sa ponte, ce qui signifie moins d'abeilles butineuses et une production de miel plus faible.
Les ennemis de l'abeille
Pour faire face à ces conditions météorologiques défavorables, certains apiculteurs pratiquent la transhumance : ils déplacent leurs ruches pour bénéficier de cieux plus cléments, là où les floraisons n'ont pas souffert d'un coup de chaud. Pratique ancrée depuis plusieurs siècles dans certaines régions, l'opération se fait de nuit lorsque les abeilles sont endormies.
Ainsi, Jean-Louis Lautard vient de déménager une partie de ses ruches dans le département de l'Ain, plus au nord. Il vient y chercher la fleur d'acacia, qui fleurit jusqu'à la fin du mois de mai et dont raffolent les abeilles. "Je suis les abeilles comme le font les bergers avec les moutons. J'essaie de m'adapter et de ne pas vivre dans l'inquiétude car par définition, c'est une production très aléatoire, il faut l'accepter", philosophe l'apiculteur provençal.
"En Provence, la fin de la saison s'effectue en montagne ou dans les plantations de lavande", ajoute Pascal Jourdan. "On sera donc très dépendants des conditions climatiques dans ces zones-là, pas du climat sur le littoral. Cependant, s'il n'y a pas de pluies pendant la fin du mois de mai et au mois de juin, là, on va clairement vers une catastrophe", ajoute l'expert.
D'autant que la sécheresse est loin d'être la seule ennemie de ces gardiennes de la biodiversité : parasites, pollution, pesticides ou encore frelons asiatiques déciment les colonies d'abeilles en France et ailleurs. "D'un taux de mortalité de 5 % par an au milieu des années 1990, on est passé à 30 %", rappelle Henri Clément. "300 000 colonies qui disparaissent chaque année en France doivent être reconstituées par les apiculteurs", ajoute le porte-parole de l'Unaf.
Pour réduire ce taux de mortalité alarmant, les professionnels de la filière plaident pour un soutien massif des pouvoirs publics à l'agroécologie ou encore un meilleur contrôle des produits phytosanitaires.