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En Afghanistan, les femmes alarmées par les premières mesures des Taliban

Malgré leurs promesses "d'ouverture", les Taliban ont annoncé de premières mesures inquiétantes pour les droits des femmes en Afghanistan. Parmi elles, la fin de la mixité dans les universités ou encore l'interdiction de la pratique sportive.

"Liberté, liberté", "Résistance". Mercredi 8 septembre, comme depuis plusieurs jours, des manifestations s'opposant aux Taliban ont eu lieu dans plusieurs villes d'Afghanistan. En première ligne, des activistes mais aussi des dizaines d'Afghanes venues militer pour le maintien de leurs droits et pour leur liberté.

#Taliban try to stop women protesters in #Kabul's Dashti-E-Barchi. Moments later, they passed. pic.twitter.com/B321g2hNre

— Nabih (@nabihbulos) September 8, 2021

La veille, les Taliban avaient présenté leur gouvernement intérimaire. Et malgré les promesses d'un exécutif "inclusif", aucune femme ne fait partie de la liste. "Quand le gouvernement a été annoncé, les choses sont devenues claires : les femmes ne seront pas présentes en politique et il n'y a pas d'ouverture", réagit une manifestante à Kaboul, relayée sur notre antenne.

"Ils ne peuvent pas nous effacer de la société"

"On veut manifester pour maintenir nos droits fondamentaux : ceux touchant à l'éducation, au travail et à la participation politique. Nous voulons faire comprendre aux Taliban qu'ils ne peuvent pas nous effacer de la société", expliquait, quelques jours auparavant, une jeune femme à Kaboul, dans des propos rapportés par l'ONG Human Rights Watch.

Si depuis leur arrivée au pouvoir le 15 août dernier, les Taliban n'ont cessé d'afficher un visage moderne en promettant le respect des droits des femmes, beaucoup d'entre elles craignent un retour vingt ans en arrière. Sous le premier règne des Taliban entre 1996 et 2001, les femmes avaient totalement disparu de l'espace public. Les filles étaient privées d'éducation. Les femmes n’avaient pas le droit de travailler ni de sortir dans la rue sans être accompagnées d’un homme de leur famille proche. Elles devaient aussi porter la burqa qui couvre tout le corps.

"Majoritairement, ces manifestantes sont des étudiantes, des femmes d'une vingtaine d'années qui n'ont pas connu le précédent régime taliban et qui refusent l'idée de revenir en arrière", analyse Mahbouba Seraj, activiste basée à Kaboul, contactée par France 24.

"Ces jeunes ne comprennent pas réellement la terreur autour des Taliban. Elles font preuve d'énormément de courage en osant les défier mais elles ont surtout la volonté de montrer qu'elles ne veulent pas devenir une population de seconde zone", analyse de son côté Jean-Charles Jauffret, professeur émérite d'histoire contemporaine à Sciences-Po Aix, auprès de France 24.

Un rideau à l'université

L'inquiétude est d'autant plus vive que depuis leur arrivée au pouvoir, les Taliban ont annoncé plusieurs restrictions à l'encontre des femmes. Ainsi, le 5 septembre, à la veille de la réouverture des universités privées, les autorités ont publié un décret concernant la scolarité des étudiantes dans ces établissements.

Students across Afghanistan have started returning to university for the first time since the Taliban stormed to power, and in some cases females have been separated from their male peers by curtains or boards down the middle of the classroom https://t.co/evBeUMDynp pic.twitter.com/5H9guTycbZ

— Reuters (@Reuters) September 7, 2021

Pour pouvoir s'asseoir en classe, les femmes devront désormais porter une abaya, un voile couvrant tout le corps, et un niqab, ne laissant apparaître que leurs yeux. Des images largement relayées sur les réseaux sociaux montrent par ailleurs le nouvel agencement des salles de classe mixtes, désormais coupées en deux par un rideau, les femmes d'un côté et les hommes de l'autre. À la fin des cours, les étudiantes doivent attendre que les hommes aient quitté la pièce avant de sortir.

Du côté des enseignants, "les universités devront essayer d’employer des professeurs femmes pour les étudiantes", ou "des enseignants âgés" dont la moralité aura été passée au crible, selon le décret relayé par CNN.

"Autant de dispositions faites pour les décourager de s'inscrire à l'université", estime Jean-Charles Jauffret.

Interdites de sport

Mercredi 8 septembre, un responsable de la commission culturelle talibane, Ahmadullah Wasiq, a quant à lui annoncé que les femmes auront désormais interdiction de faire du sport. La raison invoquée : les tenues des sportives exposeraient trop leur corps.

"Elles pourraient être confrontées à une situation où leur visage et leur corps ne seraient pas couverts. L’islam ne permet pas aux femmes d’être vues comme ça. C’est l’ère des médias, et il y aura des photos et des vidéos, puis les gens les regarderont", a ainsi expliqué Ahmadullah Wasiq au média australien SBS News. "En sport, les femmes n’auront pas de code vestimentaire islamique. L’islam ne le permet pas", a-t-il insisté.

Plusieurs autres questions restent par ailleurs en suspens. Parmi elles, le droit des femmes à sortir dans la rue sans être accompagnées par un homme ou encore la liberté de travailler. "Nous sommes dans le flou complet…", déplore Mahbouba Seraj.

"Nous avons plein de témoignages qui nous arrivent et l'impression d'entendre tout et son contraire. Dans certaines régions, la police interdit à des femmes d'aller travailler, mais ce n'est pas le cas partout", poursuit l'activiste. "En réalité, on a l'impression d'être dans un entre-deux et de ne pas savoir ce qu'il va réellement advenir de notre liberté."

Mardi, en présentant le gouvernement, les Taliban ont aussi annoncé le retour du ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice. Dans les années 1990, cette institution était chargée de faire respecter strictement la loi islamique. Ses agents patrouillaient dans les rues, obligeant les commerces à fermer à l'heure de la prière, battant ceux qui écoutaient de la musique trop fort et bannissant les filles de l'école. De quoi renforcer encore la méfiance face aux promesses d'ouverture.

Vers une répression de plus en plus sévère ?

Si certaines femmes ont ainsi décidé de prendre leur courage à deux mains pour défier les Taliban, Mahbouba Seraj, elle, a décidé de rester éloignée des cortèges. À 70 ans, cette activiste de la première heure refuse de prendre part aux manifestations. "Les jeunes femmes qui descendent dans les rues sont pleines de courage, mais aussi de naïveté…", explique-t-elle. "Je ne suis pas du tout optimiste pour nos droits. Mais là, j'ai surtout peur que ces manifestations n'amènent qu'à une répression plus dure et à des pertes humaines", poursuit-elle, appelant les membres de la société civile "à se coordonner et réfléchir à un mouvement qui aura un vrai retentissement à l'international".

En écho aux craintes de l'activiste, les dernières manifestations ont été dispersées par la force. Deux personnes ont été tuées à Hérat, dans l'ouest du pays, et plusieurs autres blessées. Une dizaine de personnes ont par ailleurs été arrêtées.

Mercredi soir, quelques heures seulement après la nomination de leur nouveau gouvernement, les Taliban ont donné un nouveau tour de vis pour éteindre la contestation : tout rassemblement doit désormais être autorisé en amont par le ministère de la Justice. Jeudi 9 septembre, l'ensemble des manifestations prévues avaient été annulées et dans les rues de Kaboul, on dénombrait bien plus de combattants talibans armés que les jours précédents, selon des journalistes de l'AFP sur place.