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Le tableau le plus cher du monde a-t-il bien été peint par Léonard de Vinci ?

Un documentaire diffusé mardi affirme que le "Salvator Mundi", acheté en toute discrétion plus de 380 millions d’euros par le prince héritier d’Arabie saoudite en 2017, ne serait pas entièrement de la main du maître de la Renaissance. Cependant, plusieurs enquêtes parues ces derniers jours dans les médias soutiennent l’inverse sans évacuer toutes les zones d’ombres qui entourent cette rocambolesque affaire.

Le Saoudien Mohammed ben Salmane a-t-il déboursé 382 millions d’euros pour une œuvre d’atelier faussement attribuée à Léonard de Vinci ? C’est la thèse défendue par un documentaire choc diffusé mardi 13 avril sur France 5 et réalisé par le journaliste et écrivain Antoine Vitkine.

Fruit de deux ans d’enquête, "Salvator Mundi, la stupéfiante affaire du dernier Vinci" revient avec brio sur ce feuilleton qui implique musées internationaux, maisons de ventes aux enchères, experts en œuvres d’art et gouvernements français et saoudien.

L’histoire de cette folle ascension sur le marché de l’art commence en 2005 par une intuition géniale. Celle de Robert Simon. Le marchand d’art new-yorkais achète cette toile présentée comme une copie tardive de Léonard de Vinci pour tout juste 1 175 dollars. En réalité, l’expert comprend que l’œuvre date bien du XVIe siècle. En faisant des recherches, il obtient même la confirmation qu’elle provient de l’atelier du maître de la Renaissance.

Très dégradé, le tableau de 65 centimètres de haut est restauré pendant plusieurs années. Après de nombreuses expertises, la peinture est finalement attribuée à Léonard de Vinci puis présentée pour la première fois en 2011 dans une exposition à la National Gallery de Londres.

Secret d’État

Acheté par un marchand d’art genevois puis revendu en 2013 à un oligarque russe, le "Salvator Mundi" finit par devenir, le 15 novembre 2017, le tableau le plus cher du monde. Chez Christie’s à New York, l’œuvre est adjugée en moins de 20 minutes à 382 millions d’euros. L’acheteur est anonyme, mais très vite le nom du prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, revient avec insistance dans la presse internationale.

Selon le documentaire de France 5, Riyad veut alors mettre fin aux polémiques sur l’authenticité du tableau. Cet achat de prestige doit permettre de montrer le visage d’un royaume défenseur de la culture et des arts. La perspective d’exposer aux yeux du monde le "Salvator Mundi" lors de la grande rétrospective consacrée au maître de la Renaissance prévue au Louvre en 2019 serait également un coup diplomatique non négligeable pour "MBS".

Le tableau est donc envoyé à Paris pour une expertise confidentielle au C2RMF du Louvre, le laboratoire de pointe destiné à l'analyse des œuvres d’art. "L’expertise scientifique a permis de démontrer que Léonard n’a fait que contribuer à ce tableau. Il n’y a pas de doutes. Donc on en a informé les Saoudiens", explique de manière anonyme un haut fonctionnaire français dans le film d’Antoine Vitkine.

La toile serait en réalité une œuvre d’atelier réalisée pour l’essentiel par un disciple de Léonard de Vinci.

Selon le documentaire, c’est pour cette raison que le Louvre ne l'intègre pas dans sa grande rétrospective. Le "Salvator Mundi" devient alors une affaire d’État entre la France et l’Arabie saoudite.

Le tableau, qui n'a pas été montré en public depuis sa vente, garde tout son mystère. On ignore jusqu'à l'endroit où il se trouve. Certains évoquent sa présence sur le yacht privé du prince ben Salmane.

Une autre explication

Mais selon Didier Rykner, du magazine en ligne La Tribune de l’art, il existe une autre explication à l’absence du "Salvator Mundi" lors de la grande exposition du Louvre.

Dans un article consacré à l’affaire, le journaliste spécialisé assure que le laboratoire du musée, contrairement à ce qui est dit dans le documentaire diffusé sur France 5, aurait bien identifié l’œuvre comme étant de la main de Léonard de Vinci.

Ce sont des demandes saoudiennes qui auraient empêché l'intégration du tableau à la rétrospective. Le prince Mohammed ben Salmane aurait en effet exigé que le tableau soit exposé aux côtés de la Joconde.

Les conservateurs du musée s’y sont opposés pour des "problèmes de sécurité et d’affluence" mais également pour des raisons muséographiques : "Salvator Mundi" a beau être le tableau le plus cher au monde, il n’y avait aucune raison de le mettre sur un pied d’égalité avec l’œuvre la plus importante de Léonard de Vinci.

Pour étayer son propos, Didier Rykner publie des extraits d’un livre dans lequel le patron du Louvre, Jean-Luc Martinez, et le commissaire d'exposition Vincent Delieuvin confirment l'attribution du tableau au maître italien. Mais cet ouvrage constitué de deux articles censés apparaître dans le catalogue de l'exposition n'est mis en vente qu'une seule journée à la librairie du musée. Il aurait été précipitamment retiré, une fois tout espoir d'un prêt du tableau par l'Arabie saoudite définitivement envolé.

Auprès de nos confrères de l’AFP, Antoine Vitkine déplore "n'avoir jamais pu accéder à ce document, dans la mesure où le Louvre niait son existence", pas plus qu'"aux conclusions de l’expertise”, dont les résultats sont toujours confidentiels. Joint par France 24, Antoine Viktine n’était pas disponible dans l’immédiat.

Une œuvre sulfureuse

Ces dernières péripéties donnent une nouvelle fois matière aux spéculations et aux fantasmes autour de ce dernier Léonard de Vinci. Pourquoi faire autant de mystère de l’expertise du Louvre si les résultats ont conclu à une œuvre authentique? L’Arabie saoudite n’aurait-elle pas tout intérêt à rendre ces conclusions publiques ?

Car le tableau est encore aujourd’hui loin de faire l’unanimité. Depuis le début, Jacques Franck, l’un des plus grands spécialistes du peintre et inventeur de la Renaissance, a "la certitude" que Léonard de Vinci ne peut pas être l’auteur de cette toile qui comporte des "erreurs d’anatomie énormes".

"La réflectographie infrarouge permet de voir dans l’ovale du visage et dans les cheveux que les tracés généraux sont très basiques. Cela ne correspond absolument pas au trait de Léonard de Vinci", assure Jacques Franck auprès de France 24. En revanche, dans une 'Tête de Christ' réalisée par son élève Salaï (Gian Giacomo Caprotti di Salaï), datée de 1511 et conservée à l’Ambrosiana de Milan, on retrouve ce type de tracé sous-jacent."

Par ailleurs, l’historien de l’art et peintre lui-même assure qu’à l’époque où le "Salvator Mundi" est présumé avoir été fait, "Léonard a quasiment abandonné la peinture pour se livrer à ses recherches personnelles dans le domaine scientifique. Il réalisait également des inspections en tant qu’ingénieur militaire. Il n’était donc pas dans son atelier."

Aujourd’hui, une vingtaine de toiles sont attribuées à Léonard de Vinci. Parmi elles, seules cinq n’ont jamais été sujettes à caution, rappelle le journal Libération dans un article paru en 2019. Comme la grande majorité des artistes de son temps, le génie de la Renaissance ne signait jamais ses tableaux et il n’existe aucune liste de ses œuvres.