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“L’obstruction systématique” au Sénat, parade législative destinée à bloquer le vote d’un projet de loi, conduit régulièrement les États-Unis dans une impasse politique. Le président américain Joe Biden a déclaré mardi qu'il comptait réformer cette tactique parlementaire appelée "filibuster" en VO ou "flibuste" en bon français. Mais la question soulève des objections de tous bords.  

Aux États-Unis,  on  la  sur nomme "l ’option nucléaire".  L 'obstruction systématique,  e ncore appelée  " filibuster"  ou "flibuste" en français ,   terme  issu  de   la  piraterie ,  re ssemble  à s’y méprendre à  du sabordage politique . R égulièrement dé gainée  par les  s énateurs de l’opposition, la  ruse  vise à bloquer ou retarder  tout projet de loi (hors budget) soumis au  Sénat. " On arrive à un point où, vous savez, la démocratie a du mal à fonctionner", a fait valoir  le  16 mars le président américain ,  qui a annoncé dans le même temps son intention de la réformer.   

Vu de France, la technique   a de quoi surprendre .   Pour l ’en clencher, il suffit de prendre la parole  en parlant pendant une durée illimitée jusqu’à ce que la majorité abandonne le projet.  Car  nul  ne peut  interrompre un sénateur  lors de son intervention .   Pour éviter un tel naufrage, u ne procédure permet toutefois de clore le débat, à condition de rassembler  une majorité qualifiée des trois cinquièmes, soit 60 voix.   

Or, depuis le 20 janvier, le Sénat est composé de  50 démocrates contre 50  républicains .    L es   démocrates  peu vent   compter sur la voix de la vice-présidente Kamala Harris pour départager les votes ne nécessitant qu’une majorité simple.   Mais pour la plupart des grandes  réformes  voulues par Joe Biden, les démocrates ont besoin de 60 voix s’ils veulent éviter le fameux " filibuster" .   

Des flibustes de plus en plus récurrentes   

Raison pour laquelle des élus démocrates réclament son abolition .  L'obstruction systématique "se moque de la  démocratie" , a simplement déclaré le sénateur démocrate Dick Durbin .   Sans surprise, les  r épublicains ,  qui comptent bien malmener l’ambition des démocrates,   comme le patron de la minorité républicaine, Mitch McConnell,  ont fait savoir qu’ils s’opposeraient à tout projet de suppressio n.   

Dans le passé, des révisions de cette pratique   -  déjà  jugée absurde  -   ont  bien  été tentées .  En   1972,  avec  l’adoption du système à deux vitesses,  les choses ont  sensiblement  évolué.  D epuis, le  simple fait de  brandir la menace de  l'obstruction en informant l e   chef du parti,   suffit à  remettre le débat à plus tard . Paradoxalement, l’adoption de ce nouveau système censé faciliter la clôture d’un e   f libuste   n’ a  eu pour effet  que  de les rendre plus fréquent e s .   

Au cours des dernières années,   d émocrates et  r épublicains   n’ ont  eu de cesse d’y avoir  recours  dès lors qu’ils  étaient minoritaires au Sénat.  Sous la présidence de  George W. Bush ,  les  s é nateurs démocrates   l’ ont  fréquemment  déploy é , sous le regard désapprobateur d es républicain s . Mais quand  Barack  Obama  était  président ,  le s  républicains  n’ont pas non plus hésit é  à sortir  cette arme législative .  Plus récemment, lorsque   Donald Trump   était   à la Maison Blanche,  les démocrates se sont montrés là  aussi  " très à l'aise avec la façon dont l'obstruction systématique  fonctionnait" , a souligné, non sans ironie ,  le sénateur républicain modéré  Mitt  Romney.   

Divisions au sein des démocrates  

Pour en finir avec le "filibuster" ,  un vote à la majorité simple  porté devant le Sénat  suffirait  à l e  supprimer . Sauf que les démocrates ne sont pas tous décidés à  l’ enterre r .  Le   centriste  Kyrsten   Sinema  de l'Alaska et Joe  Manchin  de la Virginie-Occidentale ont chacun plaidé pour son maintien. " Vous  ne  pouvez vous  débarrasser de l’obstruction systématique que si votre intention est de détruire le  Sénat" , a déclaré  sans ambages, Joe  Manchin ,  le 16 mars.  

"Chez les démocrates comme chez les républicains, les partisans du maintien de l'obstruction systématique soutiennent depuis longtemps qu'il encourage la coopération  bipartite   bipartisane je crois . Mais  c es fréquents recours à l'obstruction systématique depuis les années 1980, sont surtout le signe de la polarisation croissante de la politique américaine", estime Robert Singh, professeur de politique américaine à  Birkbeck , Université de Londres.  " Avant ,  on avait l'impression que  ceux qui  faisai en t de l'obstruction à un projet de loi le faisai en t sur la base de principes . Mais cette thèse est difficile  à soutenir  tant  elle est devenue une  arme de destruction massive pour empêcher l'autre partie d'obtenir ce qu'il veut."  

Si l’abolition de l’obstruction divise au sein même d u parti progressiste , c’est qu ’il s’agit d’une   arme   légi s l ative  à  double tranchant.  Ces deux sénateurs [Sinema et Manchin, NDLR] estiment  en effet  qu ’ ” elle  demeure importante au Sénat car elle protège les droits des  élus  minorit aires , abonde Robert Singh.  Lorsque les  r épublicain s  reprendront le  pouvoir,  les démocrates  s’en empareront   à nouveau  pour  faire barrage   aux  réformes  républicain e s.  Joe Biden est également d’accord sur ce point. Reste que si l'obstruction systématique persiste, nous pourrions voir une énorme pression de la part du reste des démocrates."  

La "réconciliation budgétaire"   

En attendant d’éventuelles réformes, Joe Biden pourra toujours compter sur le processus de "réconciliation budgétaire". Une al t ernative politique  qui permet de faire passer les lois sur le budget  à la  simple  majorité  simple.   Joe Biden a  d’ailleurs  fait adopter son projet de relance économique relatif au Covid-19 de 1,9  milliard  de dollars le 6 mars  grâce à ce recours .  En son temps,  Bill Clinton a vait également fait  adopt er  sa réforme de l'aide sociale par la réconciliation.  George  Bush Jr.  E t   Donald  Trump  l'ont   aussi déployé  pour faire  passer des  réductions d'impôts, tout comme Barack  Obama avec sa loi sur les soins ,  baptisée  Obamacare.  

Il n’est toutefois pas certain que cette parade puisse s’appliquer à toutes les mesures. La proposition de loi sur la hausse du smic  à 15 dollars de l’heure, n’ a  d’ailleurs pas  pu faire l’objet d’une réconciliation budgétaire .   La tactique   a   s es limites .  “ La question de ce qui est et n'est pas  budgétaire ,  impliquant des impôts et des dépenses ,  est ambiguë.  Lorsque l’Obamacare a été soumis à la réconciliation, les observateurs étaient divisés. M ême chose avec l a relance voulue   par  Biden . C ertains éléments n'étaient pas nécessairement budgétaires. ”  

Pour le reste, si rien ne change, un grand nombre de mesures soutenues par Joe Biden risquent de mourir à la Chambre haute, que certains nomment déjà le “ cimetière législatif ”. 

Article traduit de l'anglais par Aude Mazoué - Pour lire l'article dans sa version originale, cliquez ici