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"L'argent donné aux Taliban a pu servir à préparer l’embuscade contre les soldats français !"

Un peu plus d'un an après l'embuscade qui a coûté la vie à dix soldats français en Afghanistan, les familles des victimes ont appris jeudi matin que le drame aurait peut-être pu être évité. Certains proches demandent l'ouverture d'une enquête. France

"J'ai appris la nouvelle cet après-midi, en rentrant du travail. Ça a été un coup de massue pour moi, je n’avais eu aucune nouvelle depuis un an." Interrogée par France24.com, Sylvie, la mère du caporal Nicolas Grégoire, tué en Afghanistan le 18 août 2008, ne cache pas son émotion depuis qu'elle a pris connaissance de l'information du "Times", selon laquelle l'Italie n'a pas averti la France qu'elle payait les Taliban pour maintenir le calme dans la région. Avec le caporal Grégoire, neuf autres soldats français ont trouvé la mort ce jour-là, après avoir été pris dans une embuscade.

L'information ravive cette blessure mal cicatrisée dans la famille du caporal Grégoire. "Cela me conforte dans l’idée que la vérité nous a été cachée, que les circonstances dans lesquelles mon frère est mort nous ont été cachées", estime Julien, un frère du soldat.

Fathia "ne fait que pleurer depuis ce matin". Son compagnon, Rodolphe Penon, a également été pris sous le feu des Taliban le 18 aôut 2008. Il s’est délesté de son gilet pare-balles pour porter secours à trois camarades et a été abattu dans le dos. Suivie par des médecins et "bourrée de médicaments" depuis un an, la compagne de ce légionnaire avoue que "cette mauvaise nouvelle remue le couteau dans la plaie". Et d'ajouter : "Je n’ai pas encore fait mon deuil, et avec ça c’est encore plus difficile."

"Erreurs de commandement"

Jean-François Buil, le père du caporal-chef Damien Buil - également tué lors de l'embuscade -, était, lui, au courant depuis déjà 48 heures. "Le journaliste du 'Times', Adam Sage, m’a appelé mardi pour vérifier ses informations avec moi. Je suis tombé des nues, et maintenant on est écœurés", explique-t-il à France24.com. Il était déjà persuadé que les autorités n’avaient pas dit toute la vérité sur le drame. "Mais ça, cette histoire de fonds versés aux Taliban, c’est la cerise sur le gâteau", lâche-t-il.

Julien, le frère cadet du caporal Grégoire, n’a jamais cru "qu'avec huit ans d’expérience et le grade qu’il avait", son frère n’était pas assez expérimenté pour cette mission. Par contre, il reste persuadé qu'"il y a eu des erreurs de commandement".

Ces erreurs sont-elles liées au fait que l’armée italienne n’a jamais averti l’état-major français de ses méthodes de travail ? Dans le district de Saroubi, en effet, les services secrets italiens auraient versé des dizaines de milliers de dollars aux commandants talibans pour qu'ils y maintiennent un calme relatif. L'armée italienne remplacée par des unités françaises, en juillet 2008, ces versements auraient cessé et provoqué la vengeance de Taliban, selon des informations du quotidien britannique The Times.

"J’attends d’en savoir plus, poursuit Julien. Mais si l’Italie a fait cela, tout cet

argent a pu servir à acheter les armes et à préparer l’embuscade dont les soldats ont été victimes ! Si ce rôle de l’Italie s’avère exact, je ne comprends vraiment pas pourquoi les Français n’ont pas été informés." Et sa mère de poursuivre : "Et même si l’Italie est responsable, ça n’excuse pas l’état-major français."

Une enquête, enfin ?

À présent, toute la famille Grégoire attend des explications du gouvernement français. "Qu’il dise clairement s’il était au courant ou non, et sinon que le président Sarkozy ou Hervé Morin [ministre de la Défense] parlent de cette affaire. Même si, malheureusement, tout ça ne fera pas revenir les victimes", s'indigne la mère du caporal.

Jean-François Buil envisage de riposter. Il évoque l’enquête que les autorités avaient promise aux familles de victimes : "On a rencontré Hervé Morin sept fois et on n’a jamais eu les résultats, car il n’y a, en fait, jamais eu d’enquête !", lance-t-il. Mais après les révélations du magazine anglais, l’investigation pourra t-elle être évitée plus longtemps ? "Cela me tort les boyaux cette histoire, alors on va demander l’ouverture d’une nouvelle enquête, et croyez-moi ça ne va pas s’arrêter là", vitupère-t-il.

Julien voulait, comme son frère, s’engager dans l’armée. Mais les évènements d’août 2008 l’en ont dissuadé. Il a donc renoncé, d'abord pour sa mère, mais aussi parce que la famille du caporal Grégoire a été déçue par l’armée comme par la presse "qui n’a pas pris de nos nouvelles pendant un an et demi et nous en demande aujourd’hui". Amère, Sylvie Grégoire raconte une avalanche de déceptions depuis un an : un François Fillon "qui n’a pas eu un seul regard [pour nous]" lors du rapatriement des corps, une lettre de l’armée parlant de la mort de son fils comme d’un "accident de service". "Moi, l’aide psychologique, je l’attends toujours… ", lâche-t-elle.