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Une grossesse sur cinq se termine par une fausse couche en France, et l’on considère que cela concerne près de 200 000 femmes par an. Bien que ce soit le premier motif de consultation aux urgences gynécologiques, le corps médical demeure pourtant peu formé à sa prise en charge psychologique. Souvent tues, peu documentées, elles laissent les femmes dans une grande solitude.

La croyance populaire qui voudrait que l'on n'annonce pas sa grossesse avant trois mois serait-elle une des causes du tabou qui demeure sur les grossesses arrêtées ? C'est ce que pense Marie-Hélène Lahaye, juriste et lanceuse d'alerte sur les violences obstétricales, auteure du livre "Accouchement, les femmes méritent mieux" (Éd. Michalon). Puisque les femmes n'ont pas fait exister ces grossesses dans la sphère publique, difficile ensuite de donner une légitimité à la douleur que génère leur perte. Pour elle, c'est aussi l'injonction patriarcale "à ne pas embêter la société avec les petits problèmes des femmes, qui ternissent l'image d'un corps lisse et performant" qui pose problème. Pourtant, une étude du British Medical Journal menée en 2017 a mis en évidence que 39 % des femmes ayant vécu une fausse couche précoce présentent, trois mois après, des symptômes de stress post-traumatiques.

En France, l'association Agapa, qui accompagne les femmes et les couples victimes de fausse couche, a accueilli une équipe du Focus, qui a pu assister à un groupe de parole.

Une prise en charge médicale parfois violente

Pour Annie K., l'une des participantes, cet épisode douloureux est d'abord vécu dans le silence, "un évènement mis sous le tapis" pendant de longues années, avant de réaliser qu'il s'agissait d'un traumatisme. Mais, pour plusieurs autres participantes, comme Ingrid, c'est lors de la prise en charge médicale que les souffrances ont commencé. Une annonce brutale, des mots qui blessent, suivis d'une opération de curetage douloureuse. "À ce moment-là, je ne me suis pas sentie. Seulement un grand vide." Elle regrette qu'aucun suivi psychologique ne lui ai été proposé, et que le personnel soignant ne soit pas mieux formé à l'accompagnement émotionnel et psychologique des femmes victimes de grossesses arrêtées.

C'est aussi ce que déplore Margaux T., qui après son opération est placée en salle de réveil à côté d'un nourrisson de quelques minutes et de sa mère. "C'est un problème que les naissances et les grossesses arrêtées soient pris en charge au même endroit dans les hôpitaux. C'est très violent pour une femme qui vient de faire une fausse couche d'entendre les femmes qui accouchent par exemple."

Une prise de conscience sur la nécessité d'accompagner ces femmes émerge tout doucement au sein du corps médical. Le réseau de santé périnatal parisien propose des formations pour le personnel soignant, tout comme certaines associations.

Fausses couches à répétition

Pour Maud C. au contraire, qui a été prise en charge à l'hôpital franco-britannique de Levallois-Perret, près de Paris, puis à l'hôpital Béclère de Clamart, l'accompagnement des soignants a été un appui salvateur dans son parcours du combattant. Cette maman de deux enfants a vécu sept grossesses arrêtées, sans qu'aucune explication scientifique n'éclaire jamais son cas. Auscultée, observée, surveillée, "j'ai l'impression d'avoir donné mon corps à la science", se rappelle-t-elle. Si l'on sait aujourd'hui que la plupart des grossesses s'arrêtent pour des raisons génétiques, ce phénomène demeure néanmoins très peu étudié.

Le deuil

En France, on peut officiellement inscrire un prénom dans le livret de famille et d'organiser des obsèques si le fœtus pèse plus de 500 g ou que l'arrêt de la grossesse se produit après la 20e semaine, comme le recommande l'OMS. Entre la 13e et la 21e semaine, c'est une option. Si les parents ne le souhaitent pas, c'est la mairie qui organise alors une crémation collective. Ces mesures ont été pensées dans le but d'aider les familles à faire le deuil de ces enfants.

Mais pour les participantes de ce groupe de parole, il est important de permettre également à celles qui font des fausses couches précoces de pouvoir vivre un vrai processus de deuil. "C'est important pour nous de les faire exister quelque part pour faire son deuil", abonde Maud J., qui a choisi de déposer des plaques avec le prénom de ces enfants dans le sanctuaire de la Sainte-Beaume, dans le sud de la France. Au cimetière du Père Lachaise, à Paris, une stèle a été dédiée au deuil périnatal pour que les familles puissent se recueillir si elles en ressentent le besoin. Donner un prénom, porter un bracelet ou encore se faire tatouer, autant de manières que les familles ont trouvées pour garder une trace de ces enfants.

Mais avant tout, il s'agit de lever le voile sur cette réalité et briser le tabou qui semble crucial pour permettre de se reconstruire. C'est dans cette perspective que Margaux T., qui se consacrait déjà au bien-être pré- et post-natal avec son entreprise Rebirth, a décidé de créer un forum de discussion. Partager et faire connaitre son histoire, c'est le parti pris de Maud Jan-Ailleret également. Après ses grossesses arrêtées à répétition, elle a écrit un roman "Donne-moi des fils ou je meurs" (Éd. Grasset), où elle s'inspire de son vécu et de celui d'autres femmes victimes de grossesses arrêtées dont elle a recueilli le témoignage. L'occasion également de rendre ces évènements plus lisibles pour les partenaires et les familles des femmes qui traversent ces épreuves.

Retrouvez ci-dessous la vidéo intégrale du groupe de parole