Alors que l'identité du prochain président des États-Unis pourrait n'être connue que dans plusieurs jours, d'aucuns redoutent que les partisans du candidat malheureux à la Maison blanche ne conteste les résultats dans la rue. Un scénario avec pour corollaire, des affrontements entre les deux camps.
Des planches en bois sur les vitrines, des magasins lourdement barricadés à Chicago, Washington, Los Angeles ou encore New York. Les États-Unis se réveillent sans connaître le nom du futur président, mais surtout avec un sentiment palpable de peur que le pays ne bascule dans la violence. Dans cette course serrée à la Maison Blanche, avec des résultats qui s'annoncent retardés, les partisans de Donald Trump et de Joe Biden pourraient descendre dans la rue pour réclamer l'abandon de l'adversaire, voire prendre les armes.
"C'est un pays très polarisé, qui a déjà vécu ces derniers mois des manifestations de violence à la suite du meurtre de George Floyd, et c'est un pays qui est à bout de nerfs, affirmait déjà Robert Malley, directeur de l'organisation non gouvernementale Crisis Group, dans une interview accordée à RFI le 3 novembre, après la publication d'un rapport sur le risque de violences post-électorales. Nous avons vécu quatre années difficiles, de tensions permanentes sous la présidence Trump, qui ne fait que jeter de l'huile sur le feu en affirmant par exemple qu'il ne peut perdre les élections qu'en cas de fraude, et qui a refusé de s'engager à quitter ses fonctions en cas de défaite, puisqu'il estime que seule une élection frauduleuse pourrait conduire à cette éventualité".
Le pire scénario, avancé par les observateurs ces derniers jours, semble ainsi se profiler depuis quelques heures : un candidat victorieux à la suite du dépouillement des votes physiques, puis son adversaire à la faveur du dépouillement des votes par correspondance plusieurs jours plus tard. De chaque côté, une armada d'avocats scrute le dépouillement, car les votes par correspondance peuvent contenir des erreurs techniques contrairement aux bulletins remplis dans les bureaux de vote. Le président sortant a d'ores et déjà évoqué une "fraude" sans pour autant apporter de preuves tangibles et assuré vouloir saisir la Cour Suprême. Raison pour laquelle Donald Trump a nommé la juge conservatrice Amy Coney Barrett à la plus haute juridiction du pays.
Des esprits chauffés à blanc
Aussi, le président sortant n'a pas attendu pour crier victoire au matin du 4 novembre. "Honnêtement, nous avons gagné l'élection", a déclaré Donald Trump lors d'une brève allocution depuis les salons de la Maison Blanche.
"Nous sommes dans le royaume du mensonge. C'est son habitude, déplore sur France 24 James Cohen, professeur d'études américaines à l'université Sorbonne Nouvelle. Il n'a pas encore gagné la Pennsylvanie, le Wisconsin ou le Michigan. Il se pourrait qu'il les gagne, parce qu'il y a un écart qui va être difficile à combler pour Biden, mais il reste tous ces bulletins à dépouiller. En tant qu'électeur aux États-Unis, je suis moi-même révulsé par ce comportement. Nous allons toujours plus vers un scénario autoritaire, même s'il gagne au suffrage universel. Nous sommes tout de même dans une dynamique autoritaire qui m'inquiète. Et je ne suis pas le seul".
"La déclaration du président ce soir à propos d'arrêter le décompte de bulletins dûment déposés était scandaleuse, sans précédent et incorrecte", a déclaré Jen O'Malley Dillon, cheffe de campagne du candidat démocrate, dans un communiqué après le discours aux accents de victoire de Donald Trump. "Joe Biden et Kamala Harris [sa colistière en lice pour la vice-présidence] défendront le droit de tous les Américains de voir leur vote pris en compte, peu importe pour qui ils ont voté". De quoi échauffer les esprits de tous poils. Lors du premier débat avec son adversaire Joe Biden, Donald Trump avait appelé le groupe de suprémacistes blancs Proud Boys, à se "tenir prêts". Une sortie qui avait fait polémique et contraint le président à retropédaler le 30 septembre en affirmant qu'il ne "les connaissait pas".
"Il n'a jamais renié ce groupe ni des groupes similaires, insiste James Cohen. Au contraire, il leur fait des clins d'œil. Il joue avec le feu. Ce sont des groupes armés extra-légaux. Ils n'ont absolument pas le droit de se promener armés, de brandir les armes et de menacer des électeurs, des manifestants. Trump s'en fiche, car il considère que ce sont ses alliés. L'extrême droite armée est son allié".
"Des tensions vont perdurer"
Dans le camp de Joe Biden, on fourbit également les armes. À Portland, ville de l'Oregon secouée depuis plusieurs mois par des manifestations parfois violentes entre antifascites et milices d'extrême droite, les risques d'affrontements entre les deux camps ne sont pas pris à la légère par le FBI, la police fédérale.
"L'éventualité la plus inquiétante pour moi est le risque de voir des affrontements armés entre des groupes adverses", a déclaré à l'AFP l'agent spécial Renn Cannon, de la police fédérale de Portland.
En cas de victoire de Joe Biden, l'antenne locale des Socialistes démocrates américains a dit à l'AFP se préparer "à des violences de rue commises par l'extrême droite, frustrée de la défaite de son candidat" Donald Trump. "Il est de notre devoir de nous montrer et de les contrer", déclare la coprésidente du groupe, Olivia Katbi Smith en insistant sur le refus de la violence. Faute de mobilisation suffisante, les milices nationalistes "circuleront partout et agresseront les gens".
Un risque présent même en cas de victoire de Donald Trump. "Il y aura beaucoup de mécontents parmi les jeunes qui attendaient un autre mode de gouvernement, une autre approche de la question policière. Ce sont des revendications qui ne vont pas disparaître, on n'est pas prêt de voir la moindre réforme positive dans ce sens, insiste James Cohen en référence au mouvement Black Lives Matter. Des tensions vont perdurer et peut-être déborder en violences, ce n'est pas exclu".
Ce ne serait pas la première fois qu'une élection présidentielle se solderait par des émeutes. Pour Nicole Bacharan, historienne et politologue spécialiste des États-Unis, interviewée par 20 minutes à la veille du scrutin, "la dernière fois qu'il y a eu une explosion des violences aux États-Unis lors d'une élection présidentielle, c'était en 1968 avec la victoire de Nixon et on en parle encore aujourd'hui dans les livres d'Histoire". Reste à savoir si le prochain président des États-Unis entrera ainsi dans l'Histoire.