Les citoyens américains sont appelés aux urnes mardi pour choisir entre le démocrate Joe Biden et le président sortant Donald Trump. À Chicago, la population, qui redoute à la fois le Covid-19 et les violences post-électorales, se barricade.
Ambiance apocalyptique à Chicago. En ce lundi 2 novembre, veille d'élection présidentielle aux États-Unis, les commerces du Magnificient Mile, quartier commercial huppé de la ville, se barricadent. De grandes planches en bois, peintes en noir, sont montées pour recouvrir les vitrines des bijouteries, magasins de voitures et pharmacies afin d'anticiper d'éventuels débordements post-électoraux. Déjà moins animée qu'en temps normal en raison du Covid-19, "la ville des vents" n'est que l'ombre d'elle-même.
Tout près des boutiques de luxe, Thao Ha tient un modeste salon de beauté, en face de la cathédrale du Saint-Nom de Chicago. Elle aussi a fait barricader son commerce en prévision de l'élection.
"Ma vitrine a déjà été cassée deux fois. On a installé ça pour la sécurité de nos employés et de nos clients", explique la gérante qui souligne les profondes tensions politiques qui polarisent actuellement la société. "Il est probable que ça recommence pendant ou après les élections."
Les commerçants du Magnificient Mile sortent d'un été compliqué. Dans le sillage des grandes manifestations ayant suivi la mort de George Floyd, tué par un policier le 25 mai 2020, le quartier a connu une première vague de pillages. À la mi-août, une deuxième a eu lieu après la mort de Latrell Allen, 20 ans, dans le quartier d'Englewood, dans le sud de la ville. À chaque fois, les magasins ont vu leurs vitrines brisées et leurs marchandises pillées.
Dernière étape de notre roadtrip : #Chicago. L’ambiance y est tendue en raison du #COVID19 et de l’élection #F24 pic.twitter.com/UAOkviQrUO
— Romain Houeix (@RHoueix) November 3, 2020"Tout le monde préfère être prêt"
Des équipes d’ouvriers se relayent à tous les coins de rue autour des immeubles, signe de la nervosité qui règne dans tout le pays à l’approche de l’élection.
"On nous a demandé de protéger plusieurs vitrines. Personne ne sait ce qui va arriver, mais tout le monde préfère être prêt", explique l'un de ces ouvriers.
"Cela fait neuf ans que je vis à Chicago. L'ambiance est triste en ce moment. Toutes ces boutiques barricadées. Les gens campent sur leurs positions [politiques]", raconte Omar Romero, consultant. "Il y a toujours un risque après une élection. Un camp sera content, l'autre sera déçu. Il va falloir gérer ça."
Le jeune homme de 22 ans sort du bureau de vote situé dans l'école primaire Ogden, l'un des cinquante bureaux de vote anticipé que compte Chicago.
"J'appréhende, j'ai peur qu'il y ait à nouveau des violences. S'il y a des manifestations, j'espère qu'elles seront pacifiques, car la Constitution nous permet de manifester de cette manière", note Mary, 68 ans, croisée dans le même secteur. "Ça ne mène à rien de casser des vitrines et de voler dans des magasins."
La police de Chicago, elle aussi, se prépare au pire. Elle a annoncé que chacun de ses officiers serait mobilisé dans la nuit du 3 au 4 novembre. Et, ces dernières semaines, les entraînements au maintien de l'ordre se sont multipliés pour faire face à tout dérapage le Jour J.
En cas de scrutin serré et de résultats retardés, les habitants craignent des scénarios catastrophes, dans lesquels des partisans des deux candidats sortiraient dans la rue pour réclamer l’abandon de l’adversaire. Le président Trump n’a pas rassuré en refusant à plusieurs reprises de dire clairement s’il céderait pacifiquement le pouvoir en cas de défaite.
"Je m'inquiète de ce que Donald Trump fera s'il ne gagne pas l'élection. Il a dit que ça ne le dérangerait pas de la gagner plus tard grâce à la Cour suprême qu'il contrôle désormais grâce à la nomination d'Amy Coney Barrett. On a l'impression que s'il ne gagne pas l'élection, il la volera", estime Caroline, enseignante de 24 ans. "Chicago est une ville principalement démocrate. Les gens ici sont tendus, car ils sont à la fois inquiets et pleins d'espoirs. L'épidémie n'aide pas à rendre le climat plus serein."
Une ville sous couvre-feu
À cette lourde ambiance s'ajoute l'épidémie de Covid-19. Le pays a dépassé les 231 000 morts et les 9,3 millions de contaminations. Dans la ville de Barack Obama, on ne plaisante pas avec le sujet. Le port du masque est généralisé. Tout voyageur en provenance des États américains les plus touchés est invité à se placer en quatorzaine à son arrivée en ville.
La maire démocrate, Lori Lightfoot, a également décrété un renforcement des mesures sanitaires. L'ensemble des commerces, bars et restaurants sont invités à baisser le rideau entre 23 heures et 6 heures du matin. Pour les deux dernières catégories, ils ne peuvent désormais plus servir qu'en terrasse.
"Nous avons multiplié les options entre le vote anticipé, le vote par correspondance ou le vote en personne. On fait en sorte que chacun puisse voter sans prendre de risques sanitaires", explique Zachary Kinnaird, responsable du bureau de vote anticipé.
"Cette élection passionne. On a vu deux fois plus de gens venir voter de manière anticipée que d'habitude. Le jour de l'élection, on pense qu'il y aura un temps d'attente de deux heures ici", explique-t-il.
À la veille de l'élection présidentielle, plus de 3,4 millions de personnes ont déjà voté de manière anticipée dans l'Illinois, que ce soit par courrier ou en personne. Un record. En 2016, seulement 1,8 million de personnes l'avaient fait.