
Parmi les multiples mesures de reconfinement détaillées jeudi soir, la fermeture des librairies préoccupe le milieu culturel français. Les syndicats du secteur ne comprennent pas ce choix et des initiatives sont organisées pour soutenir une profession déjà éprouvée. Le gouvernement a annoncé la fermeture temporaire des rayons livres et culture des grandes surfaces alimentaires et spécialisées.
Les libraires indépendants font grise mine, vendredi 30 octobre, au premier jour du reconfinement en France. Exclus de la liste officielle des magasins de vente pouvant poursuivre leur activité sous certaines conditions, les professionnels du secteur ne comprennent pas ce choix de leur faire refermer boutique. “Puisque les théâtres et les cinémas sont fermés, la librairie est le dernier endroit où on peut avoir accès à la culture”, explique Anne Martelle, présidente du Syndicat de la librairie française (SLF), contactée par France 24. “C’est une activité culturelle peu risquée, et c’est dommage de ne pas la maintenir.”
Ces derniers jours, le milieu culturel n’a pourtant pas ménagé ses efforts pour faire valoir le cas particulier des librairies auprès des autorités. Les principaux syndicats du secteur ont publié un communiqué commun, le 28 octobre, demandant de les “laisse(r) ouvertes pour que le confinement social ne soit pas aussi un isolement culturel”. Des artistes ont aussi apporté leur soutien dans cette lutte, que ce soit à renfort de dessin pour l’auteur Riad Sattouf, sur Twitter, ou à renfort de bons mots pour l’humoriste Alex Vizorek, sur France Inter.
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Une pétition doit même être lancée, vendredi, par François Busnel, journaliste et critique littéraire qui anime l’émission La Grande Librairie sur France 5. Fermer les librairies, c'est nous "priver du meilleur bataillon pour affronter l'obscurantisme", a-t-il expliqué à Franceinfo, au lendemain de l’attaque terroriste de la basilique de Nice. "Il y a des millions de personnes dans ce pays, et on l'a vu juste après le premier confinement, qui ont envie de lire, qui ont besoin de lire. Fermer les librairies, c'est condamner tout un pan de l'économie culturelle, sans doute à vaciller, pour certains à disparaître", a souligné François Busnel. Le critique littéraire demande à ce que le président Emmanuel Macron reçoive le syndicat des libraires de France, le Syndicat national des éditeurs, et les écrivains, pour qu'ils puissent plaider en faveur d'une réouverture.
“À une époque où on vit des moments d’isolement, de tension, le livre nous fait réfléchir sur l’importance de la lecture et de la compréhension de la vie humaine dans toutes ses composantes, plaide Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition (SNE), contacté par France 24. C’est un bien fondamental, essentiel pour l’homme qui ne peut pas se contenter uniquement de nourriture.”
La concurrence d’Amazon et des Fnac-Darty
Les organisateurs de prix littéraires tentent aussi de peser dans la balance pour maintenir les librairies ouvertes : le prestigieux prix Goncourt a, par exemple, été “remis à une date indéterminée puisque le 10 novembre les librairies ne seront pas ouvertes”, a annoncé jeudi soir à l'AFP Françoise Rossinot, déléguée générale de l'Académie Goncourt.
“Pour les académiciens, il n'est pas question de remettre (ce prix) pour qu'il bénéficie à d'autres plateformes de vente", a-t-elle aussi expliqué. Au moment où les librairies doivent refermer, la vente de livres va en effet pouvoir se poursuivre en ligne – notamment par Amazon – ainsi que dans les hypermarchés et les Fnac-Darty – l’enseigne maintient ses magasins ouverts, s’appuyant sur une dérogation lui permettant de subvenir aux besoins des salariés en télétravail.
“C’est vraiment une grande punition, un incroyable cadeau offert à Amazon et à Fnac-Darty à un moment où on est à quelques semaines de Noël, regrette Anne Martelle. C’est l’incompréhension la plus totale qui règne chez les libraires, on trouve cela profondément injuste.” Face à la polémique montante avec les libraires, le gouvernement a annoncé, vendredi soir, la fermeture temporaire des rayons livres et culture des grandes surfaces alimentaires et spécialisées. La Fnac avait précédé ces annonces en fermant "l'ensemble des rayons culture" de ses magasins pour quinze jours.
Outre ce qu’ils estiment être une concurrence déloyale dans la situation sanitaire actuelle, les libraires jouent un rôle de promotion, qui n’est pas assuré par les autres acteurs du marché du livre. ”Les librairies indépendantes permettent de mettre en avant un certain nombre de nouveautés, de livres qui ont une courte durée de vie et ayant besoin de prendre leur élan, rappelle Vincent Montagne. On ne peut pas que se concentrer sur les best-sellers.”
Perspective financière sombre avant Noël
Cette nouvelle fermeture des librairies pourrait aussi ébranler le secteur, même si l’exécutif a promis de faire un point sur la situation des magasins fermés dans quinze jours. En 2020, les boutiques de livres ont déjà connu “une perte d’exploitation de deux mois et demi” avec le précédent confinement, selon Anne Martelle. Le mois de novembre devrait bientôt s’ajouter au tableau de ces pertes, d’autant plus dans une période où, précise la présidente du SLF, “les achats des fêtes de Noël représentent 25 % du chiffre d’affaires annuel des librairies en temps normal”.
La perspective ne s’annonçait, pourtant, pas aussi sombre il y a quelques mois : les librairies ont connu un rebond des ventes de livres avec le déconfinement et ont bénéficié d'une aide de 25 millions d’euros votée par le Centre national du livre pour leur permettre de faire face à leurs difficultés économiques.
Le click-and-collect mis en avant pour les magasins fermés pendant le reconfinement connaît aussi ses limites en librairie. Déjà mise en place lors du premier confinement, cette pratique – consistant à acheter à distance et à venir retirer sa commande à l’entrée du magasin – ne représenterait qu’à peu près 10 % du chiffres d’affaires des librairies, selon les syndicats du secteur.
Les libraires, outre le confinement, ont enfin une marge de manœuvre financière réduite à cause de l’encadrement du prix du livre par la loi Lang. “Le moindre problème type confinement peut donc très vite faire dévisser (une boutique)”, explique Anne Martelle. Pour Vincent Montagne, “il y a un grand risque que des points de ventes ne soient pas rouverts à Noël. On prend un risque culturel considérable”.