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Présidentielle américaine : plongée dans les "swing states" du Minnesota et du Wisconsin

Dans certains États américains, on n'attend aucune surprise quand vient le moment d'élire un nouveau président. Ils sont démocrates à chaque élection, comme la Californie, ou républicains, comme l'Alabama. Aussi l'élection se joue surtout dans ce qu'on appelle les "swing states", des États qui peuvent basculer d'un côté ou de l'autre. Reportage dans le Wisconsin et le Minnesota, deux États clés à l'électorat divisé. 

"Il y a plusieurs années, toute cette région était démocrate. Et d'ailleurs moi aussi, je votais démocrate", reconnaît Junior Kolterman devant les panneaux à la gloire de Donald Trump installés dans son jardin en vue de la présidentielle du 3 novembre prochain. "Mais s'ils continuent avec tous leurs programmes radicaux pour l'environnement, ils vont nous enlever nos boulots ici." Junior Kolterman est mineur dans le nord du Minnesota. Comme beaucoup de ses collègues, il a été séduit en 2016 par Donald Trump. "Il est derrière la classe ouvrière, même s'il est millionnaire", assure le conducteur d'engin.

Des défections comme celle de Junior Kolterman, le syndicat des mineurs USW en voit de plus en plus. "Ils croient en ses promesses de faire revivre l'industrie minière", explique John Arbogast, patron du syndicat. "Mais Donald Trump n'a rien fait pour nous en trois ans et demi."

Rues vides, magasins abandonnés... Eveleth, au carrefour de toutes les mines de la région, est une ville morte. Les sites ferment les uns après les autres depuis les années 1980, à cause de la concurrence internationale notamment. Les ouvriers se retrouvent sans emploi, dans une région où les perspectives de reconversion sont bien minces. "C'est un des derniers boulots qu'on a ici, alors qu'est ce qu'on va devenir ? On ne peut pas travailler dans le tourisme par exemple, et élever une famille de quatre personnes en étant payé 8 dollars de l'heure. C'est dur quand tu as des petits et que tu dois trouver un moyen de les nourrir, les vêtir, les envoyer à l'université, alors que la mine est fermée."

En 2016, de nombreux électeurs du Minnesota se sont laissés séduire par Donald Trump. L'État est resté démocrate, mais avec seulement 45 000 voix, notamment grâce à sa capitale, Minneapolis. 

L'influence du mouvement contre les violences policières

Quatre ans plus tard, Joe Biden ne peut pas gagner sans le vote de la population noire, qui est loin de lui être acquis. Cet électorat urbain et démocrate ne s'était pas déplacé en 2016. Les choses pourraient changer cette fois, notamment grâce au mouvement pour les droits civiques qui a suivi la mort de George Floyd aux mains de la police, en mai dernier à Minneapolis. Au carrefour où il est décédé, Rozenia Fuller vient quasiment tous les jours se recueillir. Elle prie, elle distribue des tracts pour inciter sa communauté à aller voter. "Nous luttons pour notre vie même dans cette élection. Nous avons un président qui fait la promotion de la suprématie blanche. Et donc notre voix compte plus que jamais. Ce n'est pas le moment d'abandonner", explique avec passion cette pasteur baptiste.

Le Wisconsin, État voisin du Minnesota, a lui basculé côté républicain en 2016, avec seulement 23 000 voix de plus pour Donald Trump. Le président sortant entend bien conserver cet État rural, principalement composé de forêts et de fermes. 

Le Wisconsin, souvent qualifié de "crèmerie de l'Amérique", compte le plus grand nombre de fermes laitières aux États-Unis. Mais il détient un autre record, celui du nombre de fermes familiales qui ont fait faillite. C'est le cas de Lynn Hicks et de son mari Nick, à la tête d'une exploitation familiale de 75 bêtes. À l'origine de leurs difficultés : la guerre douanière avec Pékin menée par l'administration Trump. Les exportations vers la Chine ont chuté et provoqué une surproduction, et le prix du lait a été divisé par deux.

Pourtant, Nick Hicks soutient toujours le président sortant. Selon lui, Donald Trump a eu raison d'être ferme avec Pékin. "Sur le long terme, s'il est là pour un nouveau mandat, on va se rendre compte que ce qu'il a commencé à faire était une bonne chose."

Des républicains contre Trump

Aux États-Unis, la très grande majorité des agriculteurs vote pour le parti républicain par tradition. Ce n'est pas le cas chez les Rosenholm, eux aussi installés dans le Wisconsin. Contrairement aux Hicks, ils sont à la tête d'une très grosse ferme de plus de 700 têtes, et en veulent beaucoup au président pour sa guerre douanière qui leur a fait perdre 400 000 dollars. Depuis, les Rosenholm reçoivent des aides de l'État fédéral : "C'est assez comique parce que les républicains n'arrêtent pas de dire qu'il sont contre le socialisme, contre le communisme, qu'ils ne veulent pas que le gouvernement intervienne, mais à chaque fois qu'il y a un président républicain, on reçoit de l'aide, on nous envoie de l'argent."

À quelques kilomètres de chez les Rosenholm, sur la rive du Mississippi, Lori McCammon soupire. À 65 ans, cette grand-mère s'en veut toujours d'avoir glissé un bulletin Trump dans l'urne en 2016. Elle résidait alors en Californie du Sud et était effrayée par l'immigration clandestine en provenance d'Amérique latine. Mais très vite, Lori McCammon a déchanté face à la politique de tolérance zéro du président et la séparation de familles à la frontière : "Quand j'ai vu les enfants, enfermés dans des cages, dont certains étaient encore allaités... C'est au-delà de la cruauté ", s'indigne-t-elle. Lori a rejoint depuis un mouvement qui a fait son apparition au début de la campagne présidentielle : les républicains contre Donald Trump, qui regroupe des électeurs désabusés par la politique du président et qui préfèrent soutenir Joe Biden.

Lori McCammon essaye de convaincre son entourage encore indécis, comme son ami Frank Zacher. Mais ce retraité de la restauration, républicain de cœur, est fatigué par les sollicitations constantes : "J'ai une fille de 39 ans qui m'a dit que si je vote pour Trump, elle ne me reparlera plus pour le reste de ma vie. Les élections, ça ne devrait pas être comme ça. Des adultes devraient pouvoir voter pour qui ils veulent et le jour après l'élection, on devrait découvrir qui a gagné et unir nos forces pour que ça marche, pour rendre les choses meilleures".

Pour Lori, Donald Trump est responsable de cette situation : "Il a créé les États-Unis divisés d'Amérique".