La campagne en vue de l'incertaine élection présidentielle en Guinée est entrée jeudi dans sa dernière ligne droite avec le retour des deux principaux candidats, le président Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo, dans la capitale, Conakry.
Des foules de Guinéens enfiévrés se sont pressées, jeudi 15 octobre, à la rencontre de Cellou Dalein Diallo, principal adversaire du chef de l'État sortant, à son retour de province, à l'entame de la dernière ligne droite avant la présidentielle.
Le président Alpha Condé était lui-même rentré à Conakry, mercredi soir, après avoir écumé le pays en hélicoptère pendant plusieurs jours malgré ses 82 ans, afin d'haranguer des foules chauffées à blanc, pourfendre Cellou Dalein Diallo et faire mentir ce dernier sur sa santé déclinante.
"Nous sommes là pour l'alternance"
Au total, douze candidats sont en lice, dimanche. Mais la direction de la Guinée pendant les six prochaines années devrait se jouer entre les deux rivaux qui se sont déjà affrontés en 2010 et 2015.
Le centre de Conakry a encore résonné, jeudi matin, du vacarme assourdissant de klaxons, sirènes et sifflets produit par un interminable cortège de semi-remorques transportant des partisans du président Condé qui arboraient la couleur jaune du parti au pouvoir.
La manifestation a fait craindre, dans l'atmosphère volatile d'une campagne acriminonieuse, une collision avec les aficionados de Cellou Dalein Diallo. Mais celle-ci n'a pas eu lieu, le défilé de camions a pu rentrer vers le port sans heurt, après avoir fait une sortie sur l'autoroute.
De toute la capitale guinéenne, des milliers de sympathisants de Cellou Dalein Diallo ont convergé vers la périphérie pour accueillir leur champion de 68 ans qui revenait, lui aussi, de faire campagne à l'intérieur, portant le message du changement après dix années de présidence Condé.
"Depuis dix ans on est dans la souffrance derrière ce Monsieur, ce vieillard de 90 ans, 92 ans, nous sommes fatigués, nous sommes là pour l'alternance", s'est exclamé Baldé Mamadou, 35 ans, mécanicien de formation mais sans véritable emploi.
Mobilisation historique à #Conakry ! ????⚪️#CestLheure ! pic.twitter.com/brbbRYkkRo
— Cellou Dalein Diallo (@Cellou_UFDG) October 15, 2020Alpha Condé est devenu, en 2010 en remportant le second tour, le premier président élu lors d'un scrutin véritablement compétitif après des décennies de régimes autoritaires. Il a été réélu au premier tour en 2015.
L'élection de 2020 n'échappe pas aux tensions qu'ont connues les deux précédentes, ternies par la violence et la contestation. Interrogés par l'AFP s'inquiètent, tout comme la communauté internationale, du déroulement du vote et plus encore de ses lendemains, dans un pays coutumier de l'affrontement physique en politique.
Vigilance internationale quant à un "discours de haine à relent ethnique"
Les jours précédents, des heurts rapportés entre des militants des deux camps ont fait plusieurs blessés dans différentes localités.
"Une difficulté majeure, c'est la question de la reconnaissance, de l'acceptation des résultats des urnes", dit Kabinet Fofana, président de l'Association guinéenne de sciences politiques.
Depuis un an, des milliers de Guinéens ont manifesté pour faire barrage à un troisième mandat d'Alpha Condé qui tire argument de l'adoption d'une nouvelle Constitution à son instigation pour se représenter.
La mobilisation a été sévèrement réprimée et des dizaines de civils ont été tués, autorités et opposition se rejetant la responsabilité de ces morts. Et l'inquiétude a été avivée par le ton d'une campagne plus hargneuse que programmatique, dans un pays de quelque 13 millions d'habitants pourtant confronté à de grandes difficultés.
Les grandes organisations internationales se sont alarmées de "discours de haine à relent ethnique" après qu'Alpha Condé eut mis en garde les électeurs malinkés contre la tentation de voter pour un autre candidat de cette communauté que lui.
Les appartenances communautaires sont un important facteur, les Malinkés se reconnaissant majoritairement dans le parti d'Alpha Condé, et les Peuls dans celui de Cellou Dalein Diallo. Les deux groupes représenteraient largement plus de la moitié de la population.
"Ceux qui veulent m'envoyer au cimetière iront avant moi"
Accusant Alpha Condé d'"instrumentaliser" le fait ethnique, Cellou Dalein Diallo veut incarner le changement avec un pouvoir "despotique" qui "pillerait" les ressources du pays. Il affirme que le président Condé "n'a plus la capacité physique et intellectuelle d'exercer".
Enchaînant les meetings de ville en ville, Alpha Condé, survolté, a invoqué les progrès économiques d'un pays qu'il dit avoir trouvé en ruines et dont il promet de faire "la deuxième puissance (économique) africaine après le Nigeria".
"Ils sont venus vous dire 'le président est malade, il est couché, il ne peut plus se lever'", s'est-il gaussé à Kissidougou (sud) avec une grimace forcée, "ceux qui veulent m'envoyer au cimetière iront avant moi". Un éventuel second tour est prévu le 24 novembre.
Avec AFP