L'exécutif afghan et les Taliban ont entamé, samedi, à Doha des négociations de paix historiques en présence du secrétaire d'État américain, Mike Pompeo. Le négociateur du gouvernement demande "un cessez-le-feu humanitaire", celui des rebelles réitère son appel à un "système islamique".
Les pourparlers de paix historiques ont démarré, samedi 12 septembre, au Qatar entre l'exécutif afghan et les Taliban. Le négociateur du gouvernement a remercié ces derniers pour leur "volonté de négocier", en ouverture des discussions. "Je peux vous dire avec confiance aujourd'hui que notre pays se souviendra de ce jour comme de celui de la fin de la guerre et des souffrances de notre peuple", a déclaré Abdullah Abdullah, un ancien ministre afghan.
"Nous devons mettre fin à la violence et convenir d'un cessez-le-feu le plus rapidement possible. Nous voulons un cessez-le-feu humanitaire", a aussi déclaré Abdullah Abdullah, qui préside le Haut Conseil pour la réconciliation nationale.
Le négociateur des Taliban a, quant à lui, réitéré l'appel à un "système islamique" en ouverture de ces pourparlers. "Je veux que tout le monde tienne compte de l'islam dans les négociations et les accords et que l'islam ne soit pas sacrifié à des intérêts personnels", a déclaré Abdul Ghani Baradar, le chef politique des insurgés afghans, ajoutant qu'il voulait un "système islamique" en Afghanistan.
Mike Pompeo a exhorté, samedi, les négociateurs afghans à "saisir l'opportunité" de faire la paix pour les générations futures. "Nous allons sans aucun doute relever de nombreux défis dans les pourparlers dans les prochains jours, semaines et mois. N'oubliez pas que vous agissez non seulement pour cette génération d'Afghans, mais aussi pour les générations futures, pour vos enfants et vos petits-enfants", a déclaré le secrétaire d'État américain.
"Faire aller de l'avant" l'Afghanistan
Ces discussions avaient été retardées de six mois en raison de désaccords profonds sur un échange de prisonniers controversé, entre rebelles et gouvernement. Les pourparlers interviennent au lendemain du 19e anniversaire des attentats du 11 septembre 2011, qui ont entraîné l'intervention internationale menée par les États-Unis ayant chassé les Taliban du pouvoir en Afghanistan.
Les deux camps doivent trouver un moyen "de faire aller le pays de l'avant pour réduire les violences et accéder aux demandes des Afghans : un pays réconcilié avec un gouvernement qui reflète une nation qui n'est pas en guerre", a déclaré Mike Pompeo, vendredi. Le secrétaire d'État doit participer à l'ouverture des négociations et est attendu plus tard, samedi, à Chypre.
Le président américain, Donald Trump, dont la réélection en novembre est incertaine, est, lui, déterminé à mettre fin, coûte que coûte, à la plus longue guerre de l'histoire des États-Unis.
Mais un règlement rapide du conflit semble peu probable et la durée des négociations n'est pas connue.
Deux visions de la société
Les Taliban ont réitéré leur volonté d'instaurer un système dans lequel la loi serait dictée par un islam rigoriste et ne reconnaissent pas le gouvernement de Kaboul, qualifié de "marionnette" de Washington.
Le gouvernement du président Ashraf Ghani insiste de son côté pour maintenir la jeune République et sa Constitution, qui a consacré de nombreux droits, notamment pour les minorités religieuses et les femmes qui seraient les grandes perdantes d'un retour aux pratiques en vigueur sous le joug des Taliban.
La question de l'échange de prisonniers, prévu par un accord historique entre les Talibans et les États-Unis conclu en février à Doha, avait constitué un premier obstacle retardant les négociations. Après hésitation, les autorités afghanes ont fini par relâcher les 400 derniers insurgés et plusieurs pays, dont la France et l'Australie, avaient protesté contre leur libération.
L'émissaire des États-Unis pour l'Afghanistan, Zalmay Khalilzad, a justifié vendredi depuis Doha ces libérations, affirmant que c'était "une décision afghane difficile mais nécessaire […] pour ouvrir les négociations".
"Ma barbe était noire quand la guerre a commencé"
Le conflit afghan a tué des dizaines de milliers de personnes, dont 2 400 soldats américains, poussé des millions d'autres à fuir, et coûté plus de 1 000 milliards de dollars à Washington.
"Ma barbe était noire quand la guerre a commencé, elle est aujourd'hui blanche comme neige, nous sommes toujours en guerre […] et je ne pense pas que cela changera bientôt", affirme Obaidullah, un habitant de Kaboul âgé de 50 ans. "Je suis sceptique quant à ces négociations, car les deux camps veulent appliquer leur agenda complet", ajoute ce fonctionnaire retraité.
Beaucoup d'Afghans craignent le retour au pouvoir – partiel ou total – des Taliban, qui accueillaient le réseau jihadiste Al-Qaïda avant le 11 septembre 2001. Les Taliban sont toutefois en position de force depuis la signature de l'accord avec les États-Unis qui prévoit un retrait des troupes américaines et la tenue de ce dialogue interafghan.
Le Qatar s'est discrètement efforcé de mener une médiation, compliquée par la poursuite des violences en Afghanistan et la pandémie de Covid-19. Le négociateur en chef qatari, Mutlaq al-Qahtani, a toutefois mis en avant jeudi le "pouvoir de la diplomatie".
En 2013, les Taliban avaient installé un bureau politique à Doha sur invitation du Qatar. Puis, ces insurgés avaient hissé leur drapeau au-dessus du bureau, provoquant la colère de Kaboul.
Vendredi, deux drapeaux afghans ont été amenés à l'hôtel luxueux qui accueille les négociations, tandis que des Taliban enturbannés faisaient la queue avec journalistes et traiteurs pour effectuer un test de dépistage du coronavirus.
Avec AFP