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En Europe, un mouvement antimasque alimenté par un "imaginaire antisystème"

Alors que l'épidémie de Covid-19 connaît un rebond en Europe en pleine période estivale, des manifestants se réunissent depuis quelques semaines à travers le continent pour protester contre le port du masque obligatoire. Selon des spécialistes, ce mouvement antimasque illustre un sentiment de défiance envers l'État. 

Madrid, Bruxelles, Berlin… Dans plusieurs villes européennes, des manifestations rassemblent depuis quelques semaines des centaines d'opposants au port du masque. L'apparition de ces rassemblements coïncide avec la mise en place, dans plusieurs pays, du port du masque obligatoire face à la résurgence de l'épidémie de Covid-19.

Suivant leurs homologues américains et québécois, les antimasques européens se sont d'abord réunis sur les réseaux sociaux, notamment via des groupes Facebook comme "Accrochez-vous ça bouge", en Belgique ou encore "Anti-masque obligatoire" en France.

Le 20 août, le premier possédait près de 8 200 membres et le second plus de 6 700. Dans ces groupes se trouvent par exemple des publications relayant les propos du docteur Didier Raoult, d'autres prenant la défense des YouTubers controversés Thierry Casasnovas et Silvano Trotta ou encore des mèmes se moquant de l'utilité du port du masque.  

Des réseaux sociaux à la rue 

Si, à l'origine, les échanges étaient seulement virtuels, ces internautes se donnent désormais rendez-vous sur les réseaux sociaux avant de descendre dans les rues.

Des centaines d'entre eux, criant le mot "Liberté", se sont réunis dimanche 16 août à Madrid, sur la place Colon, dans le centre de la capitale espagnole. Sur leurs pancartes, on pouvait notamment lire : "Le virus n'existe pas", "le masque tue" ou encore "nous n'avons pas peur". 

Le même jour, à Bruxelles, plusieurs centaines de manifestants s'étaient rassemblés. Estimant que le port du masque restreint leurs libertés individuelles, certains protestataires brandissaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : "Corona circus" ou encore "c'est mon corps, c'est mon choix". 

Ces rassemblements ont eu lieu quelques jours après le durcissement des mesures sanitaires dans plusieurs pays européens. Le masque est en effet devenu obligatoire, le 12 août, sur tout le territoire de la région de Bruxelles. À Madrid, les opposants au masque s'étaient réunis deux jours après que le gouvernement a annoncé la fermeture des discothèques et l'interdiction de fumer lorsqu'il est impossible de se tenir à moins de deux mètres les uns des autres. 

Ces manifestations ont depuis donné des idées aux réfractaires côté français. Ils prévoient de se retrouver le 29 août, à Paris, où le port du masque est obligatoire dans certaines zones. Sur Facebook, les participants s'organisent via un événement privé, créé par Stéphane C., âgé de 39 ans, également autour du groupe Facebook "Anti-masque, la révolte commence ici".  

"Un acte de résistance"

Se défendant d'être "complotiste", Stéphane C., interviewé par France 24, explique que ces mesures de santé publique vont trop loin à son goût. "Porter le masque dans les lieux publics est une atteinte à nos droits et à nos libertés", dénonce-t-il, estimant également que "le port du masque dans les transports n'a aucun sens".

"Qu'il y ait une épidémie de Covid-19 ou pas, les moyens de transport collectifs sont des nids à microbes", poursuit l'organisateur de la manifestation, qui dit avoir reçu "une quinzaine d'amendes" pour avoir refusé de porter le masque. 

Selon Stéphane C., sa méfiance provient également d'un discours contradictoire de l'État. "Au début de la crise, le gouvernement disait que le masque ne servait à rien. Aujourd'hui, il nous dit qu'il faut le porter. Ce n'est pas clair", affirme-t-il. 

Qu'ils se développent en Espagne, en Belgique ou en France, les arguments des anti-masques se rejoignent sur plusieurs aspects. Contactée par France 24, Marie Peltier, spécialiste du complotisme et autrice d'"Obsessions : dans les coulisses du récit complotiste" (Inculte, 2018), explique que ce mouvement est animé par un "imaginaire anti-système" qui dépasse les frontières intra-européennes.

"Le masque est présenté par ces groupes comme un élément imposé par le système politique et médiatique. Ne pas porter le masque est donc, pour eux, un acte de résistance", explique la chercheuse belge. 

Une "logique conspirationniste"

Marie Peltier explique que ces mouvements sont politiques, "fortement structurés par les réseaux d’extrême droite et venant par ailleurs brasser certains mouvements de gauche radicale". S'ajoutent des personnes moins politisées. "Certains se retrouvent dans ce groupe parce qu'ils se sont tout simplement laissés entraîner par ce type de discours", dit-elle. 

Une analyse partagée par Jocelyn Raude, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’École des hautes études en santé publique. Les antimasques sont "beaucoup plus présents parmi les électeurs des partis d’extrême droite ou d’extrême gauche" abonde-t-il. "Il y a, dans cette attitude, une façon de désobéir à un gouvernement qu’ils n’approuvent pas ou d’exprimer un rapport de défiance plus large vis-à-vis de l’État et de l’autorité en général", pointe-il dans le journal La Croix

S'il possède en apparence une certaine homogénéité, ce mouvement recouvre également des réalités différentes. Certains sont par exemple seulement opposés à l'obligation du port du masque, quand d'autres rejettent l'idée même de l'existence du coronavirus.

Pour Marie Peltier, ces divergences représentent le propre de la "logique conspirationniste". "Cet imaginaire politique imprègne la population à des degrés divers. Il existe des nuances dans cette communauté. Mais la posture principale commune reste celle du rejet du système", précise l'enseignante. 

Si à l'image du mouvement conspirationniste, le mouvement anti-masque gagne de l'ampleur en Europe, la spécialiste souligne que ce dernier reste toutefois "marginal". "L'immense majorité des gens portent le masque et n'en débattent pas. À cause de la peur du virus, ils restent globalement raisonnables et respectent les consignes sanitaires". D'après un sondage YouGov pour le Huffington Post, 84 % des Français interrogés se disent prêts à porter un masque en extérieur.