Au Soudan, les membres du Conseil souverain, dont plusieurs sont des femmes, ont validé l'interdiction de la pratique de l'excision, sous peine d'emprisonnement. Un avancée qui va devoir s'accompagner d'un changement des traditions fortement ancrées dans certaines zones du pays.
La pratique ancestrale de l'excision est encore très répandue au Soudan, où, d'après les Nations-Unies, près de neuf femmes sur dix l'ont subie dans l'enfance. Mais depuis le vendredi 10 juillet, cette mutilation génitale, mortelle dans certains cas, est désormais passible de trois ans d'emprisonnement et d'une amende.
Le Conseil souverain soudanais, qui assure la transition démocratique dans le pays depuis la chute d'Omar el-Béchir jusqu'à la tenue d'élections en 2020, vient de valider une série de lois votées en avril par le gouvernement criminalisant l'excision.
Le texte adopté considère désormais comme "crime" la mutilation des organes génitaux des femmes. Il autorise aussi la fermeture par les autorités des cliniques ou des lieux pratiquant l'excision.
La loi a changé… Mais pas les traditions
Si les milieux les plus conservateurs estiment que l'excision préserve la chasteté, nombre de chefs religieux se sont prononcés contre. Pour l'Unicef à Khartoum, criminaliser cette pratique n'est que la première étape d'un long processus sociétal, afin d'envisager sa disparition.
"La loi accélérera certainement la réduction de la pratique, si elle est effectivement mise en œuvre par toutes les parties prenantes : les forces de l'ordre, les professionnels de la santé et les membres de la communauté, y compris les parents. Cette période nécessitera des efforts de collaboration intensifs", prévient Tamador Khalid, spécialiste de la protection de l'enfance à l'Unicef au Soudan, contactée par France 24.
"Cette pratique n'est pas seulement une violation des droits des jeunes femmes, elle […] a de graves conséquences pour la santé physique et mentale", insiste Abdullah Fadil, représentant de l'Unicef à Khartoum.
L'excision a gagné du terrain en 30 ans
Au Soudan, les militants des droits humains affirment que la coutume s'est étendue au cours des trois dernières décennies à des régions éloignées, où elle n'était pas pratiquée auparavant, notamment dans les monts Nuba du Soudan, une zone de conflit entre le gouvernement de Khartoum et des des groupes rebelles.
"En raison du conflit, de nombreux groupes ethniques qui ont été contraints de se déplacer ont été accueillis par des communautés qui pratiquent les mutilations génitales féminines. Les Nuba, les Fellat et même les Fur ont fait des efforts pour être accueillis et acceptés. Et, dans le cadre d'un processus d'acculturation, ils ont commencé à adopter les mutilations génitales féminines comme partie intégrante de leur nouvelle identité", fait observer Tamador Khalid.
Pour l'Unicef, l'élimination des mutilations génitales est une étape essentielle en vue de promouvoir l'égalité des droits hommes-femmes dans le pays. Au Soudan, d'après l'organisation internationale, 38 % des jeunes filles sont encore mariées de force avant l'âge de 18 ans." Le mariage des enfants est pratiqué par de nombreux groupes dans les zones rurales, plus que dans les zones urbaines, ce qui les prive du droit à l'éducation, de la possibilité de faire des choix et de prendre des décisions", déplore Tamador Khalid.
Des femmes au pouvoir, facteur d'accélération des avancées
Si le chemin est long, l'Unicef au Soudan se réjouit des changements permis par l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement à la suite du renversement d'Omar el-Béchir par le coup d'État militaire qui a suivi les révoltes populaires de 2019.
La présence de femmes au sein du Conseil souverain soudanais, qui a validé la loi contre l'excision, a sans doute été un facteur déterminant. Même si cette loi est le fruit d'un long processus d'efforts conjoints des activistes, du gouvernement, des organisations communautaires et des ONG depuis 2010. Six États du Soudan, dont le Darfour du Sud, le Kordofan du Sud et le Kordofan du Nord, avaient déjà adopté des lois contre les mutilations génitales féminines.
Même si les 40 % de femmes occupant des postes politiques et de direction clés au Soudan ne sont pas encore atteints, "ce qui se passe actuellement est très positif et très prometteur", fait valoir Tamador Khalid.
Les femmes soudanaises ont joué un rôle de premier plan dans la révolte populaire qui a conduit à la chute de l'ex-dictateur Omar el-Béchir en avril 2019. Or l'ex-autocrate, resté à la tête du pays durant trente ans, après un coup d'État soutenu par les islamistes, avait écarté en 2015 un projet de loi contre l'excision.
Avec AFP