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Municipales 2020 : une abstention inédite, chronique d'une désillusion annoncée

Un Covid-19 toujours présent, une non-campagne, rejet des institutions... Plus de trois mois après le premier tour des municipales, le second tour a été marqué par une très forte abstention dimanche, avec plus de six électeurs sur dix qui ont boudé les urnes. Un désaveu prévisible.

Derrière la vague verte, une autre déferlante s'est abattue sur la France : l'abstention. Une large majorité des 16,5 millions d'électeurs appelés à voter dans 4 820 communes ont boudé les isoloirs, dimanche 28 juin, lors du second tour des élections municipales. Selon le ministère de l'Intérieur, la participation a atteint 41,6 % seulement, soit environ 20 points de moins que pour le second tour de 2014.

À 58,4 % au niveau national, "l'abstention, c'est le fait majeur de cette soirée", résumait à l'issue du scrutin Chloé Morin, consultante Ifop, sur France 24. Elle atteint des records dans des villes comme Nantes (71,42 %), Rennes (68,32 %) ou encore Lille (60 %), remportées par le Parti socialiste. À Lyon, où EELV a ravi la ville à la droite, elle est estimée à 62 %.

"Le fil de l'élection a été rompu"

Pour expliquer ce désastre civique, les observateurs pointent du doigt la pandémie de Covid-19, qui avait déjà affecté la mobilisation des électeurs lors du premier tour (55,4 %). "Le contexte de la crise sanitaire n'est toujours pas estompé pour les électeurs", a souligné le chercheur du Cevipof Bruno Cautrès sur FranceInfo, pour qui "la crainte d'être contaminé dans les bureaux de vote", malgré les mesures sanitaires adoptées, a été "l'un des principaux obstacles à la participation".

Pour beaucoup, le premier tour, maintenu en mars, a été vécu "comme une sorte de traumatisme", rappelle Chloé Morin. Selon un sondage Sopra Steria pour FranceTV, Radio France, LCP et Public Sénat sur les motivations des électeurs, 43 % des personnes interrogées citent le risque d'attraper le Covid-19 comme première raison de leur abstention.

Entre les deux tours, trois mois se sont écoulés, affectant d'autant plus l'intérêt des Français pour cette élection. "Le fil de l'élection a été rompu", poursuit la consultante Ifop. Les observateurs y voient un désaveu pour les maires, alors que c'est la fonction politique qui demeure la plus appréciée des Français, selon les enquêtes d'opinion.

Pas de campagne, ni meeting

Contexte sanitaire oblige, le second tour des municipales a aussi été marqué par une campagne hors norme, la plus longue de la Ve République. Les militants et les candidats n'ont pas pu faire campagne sur les marchés, tenir de meetings ou faire du porte-à-porte, détaille sur France 24 Pierre Jacquemain, rédacteur en chef de la revue Regards. À défaut, des campagnes numériques ont été organisées, mais "cela n'a suffisamment pas mobilisé", poursuit-il. Y compris les médias. 

En revanche, l'abstention nationale, qui n'est pas un record sous la Ve République – plus de 69,8 % lors du référendum de 2000 portant sur le quinquennat du mandat présidentiel – ne doit pas faire oublier que dans certaines villes très disputées, les gens se sont fortement mobilisés. La participation a été notable dans plusieurs villes, dont Perpignan (52,8 %), Nancy (57,9 %, contre 62,9 % au premier tour) ou encore Bastia (35,9 %).

Mais derrière cette poussée abstentionniste en France se cache aussi une saturation politique. "À l'exception des européennes en mai 2019 où on avait vu un regain de participation, on voit s'inscrire progressivement une forme de démocratie de l'abstention en France", élection après élection, avertit Bruno Cautrès. "La présidentielle motive toujours, mais les autres élections ont du mal à trouver la motivation des électeurs", ajoute-t-il.

Dans le sondage Sopra Steria, 38 % des sondés disent ne pas avoir voté car ils pensent que les élections ne changeront rien à leur vie quotidienne, 27 % parce qu'aucune liste ou candidat ne leur plaît.

"Pas une très bonne nouvelle"

Emmanuel Macron a exprimé sa "préoccupation", selon l'Élysée, qui estime que ce chiffre n'est "pas une très bonne nouvelle". "Encore une fois, c'est la France de l'abstention qui l'emporte", a regretté de son côté le président du Sénat, Gérard Larcher (LR), estimant que "la défiance s'installe".

Jean-Luc Mélenchon, le chef de file des Insoumis, s'est inquiété "d'une grève civique", "d'une forme d'insurrection froide contre toutes les institutions du pays". L'abstention "est une forme de 'dégagisme'" désormais tournée "contre les règles du jeu auxquelles le peuple ne consent plus", a-t-il affirmé.

Pour l'heure, ce sont les grands perdants de ce scrutin, La République en Marche et La France Insoumise, qui ont tenu à relever cette abstention particulièrement élevée. "Une façon de minimiser leur défaite", glisse Chloé Morin. Reste à savoir s'ils en tireront des leçons.