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Covid-19 : en Europe, les applications de traçage se développent malgré désaccords et polémiques

Alors que l’Europe se déconfine, certains pays se sont lancés dans l'élaboration d'une application mobile pour identifier les éventuels malades du Covid-19. Mais les États semblent divisés sur la stratégie à adopter. 

À travers l'Europe, la plupart des pays prévoient ou ont déjà mis en place des applications mobiles pour identifier les malades potentiels du Covid-19 et les personnes entrées en contact avec eux, dans le cadre de leur stratégie de déconfinement. Plusieurs modèles se répandent à travers le Vieux continent, suscitant des débats politiques et technologiques. Le but pour ces pays : bloquer la circulation du virus.

Plusieurs États européens proposent déjà à l'ensemble de leur population d'utiliser ce type d'application. C'est le cas en Autriche, en Islande, en Norvège ou encore en République tchèque. Parmi eux, l'Islande a été l'un des premiers pays à mettre une application à disposition de ses citoyens

Dès début avril, avant même la levée du confinement, l'Islande a lancé Rakning C-19, une application basée sur la localisation GPS des téléphones. Cette technique permet de connaître les déplacements des utilisateurs. Ces données peuvent être transmises, avec le consentement du détenteur du téléphone, aux autorités sanitaires chargées d'identifier les personnes qui ont été en contact avec les porteurs du virus. 

Une multitude de projets en cours

Mais tous les pays européens n'en sont pas encore à ce stade. En France, en Allemagne ou en Angleterre, des projets d'application sont encore à l'étude. Le gouvernement français souhaite par exemple créer une application pour smartphone permettant de prévenir automatiquement les autres utilisateurs croisés récemment, lorsqu'on est contaminé. Cette application, baptisée StopCovid, devrait voir le jour à partir du début du mois de juin, un délai coïncidant avec la deuxième phase du déconfinement annoncée par le gouvernement. 

Pendant que #StopCovid croule sous les critiques, la @CNIL a rendu hier son avis

Ses exigences devraient mettre un coup d'arrêt à l'enthousiasme du gouvernement

Regrettons qu'elle ne soit pas allée au bout de son raisonnement en exigeant la fin du projethttps://t.co/yUYngH1g37

— La Quadrature du Net (@laquadrature) April 27, 2020

De son côté, le Royaume-Uni a lancé une expérimentation sur l'île de Wight, située dans le sud de l'Angleterre. Depuis le 5 mai, les habitants de l'île sont invités à télécharger une application liée au National Health Service, l'Assurance-maladie britannique. Si ce test se révèle concluant, son usage devrait être répandu à l'échelle du pays dans les semaines qui viennent.

L'utilité du traçage numérique remise en cause

D'autres États semblent, eux, plus réticents à l'idée de mettre en place un tel système, à l'instar de la Belgique où l'utilité même d'une application est remise en cause. "Il n’y a pas besoin d’une application pour la recherche de contacts, elle peut être effectuée manuellement et elle existe depuis des années", a affirmé le ministre de l'Agenda numérique, des Télécommunications et de la Poste belge Philippe de Backer, le 23 avril 2020, à VRT NWS, la chaîne belge néerlandophone. Philippe de Backer craint également que l'application soit téléchargée par trop peu de personnes pour livrer des résultats concluants.

Si tous les États européens n'ont pas franchi les mêmes étapes concernant ces applications de traçage, ils n'ont par ailleurs pas choisi les mêmes fonctionnements d'applications. Interviewé par France 24, Alex Simon, spécialiste en sécurité informatique et membre de l'association La Quadrature du Net, distingue deux grandes familles d'application de traçage : celles fondées sur la géolocalisation et celles qui s'appuient sur la technologie Bluetooth. 

La première catégorie permet, selon lui, de "suivre les déplacements des utilisateurs" tandis que la deuxième sert uniquement à "détecter la proximité" entre des utilisateurs sains et ceux porteurs du virus. Les données peuvent ensuite être stockées et traitées de deux façons différentes. D'une part, "le système centralisé permet d'envoyer les informations vers un serveur central qui a une vision d'ensemble de ce qu'il se passe", explique Alex Simon.

Grâce à une comparaison des données, il est ainsi possible de retrouver les cas contacts, autrement dit les personnes qui ont été trop longtemps en contact rapproché avec un malade. Il existe, d'autre part, un système appelé "décentralisé", qui stocke l'historique des contacts dans le téléphone. 

Géolocalisation vs Bluetooth

Pour Alex Simon, la piste de la géolocalisation est la plus inquiétante. "En plus de ne pas répondre aux besoins, elle pose des questions en termes de respect de la vie privée", explique-t-il. Une opinion partagée par Paula Forteza, ancienne rapporteure du projet de loi sur la protection des données personnelles (RPGD). "Le Bluetooth est une technologie moins intrusive que la géolocalisation ; les données restent sur votre portable", a-t-elle affirmé dans un entretien à BFMTV. 

Mais le débat entre spécialistes et États réside en particulier dans le choix entre un système centralisé et décentralisé. Pour élaborer son application StopCovid, la France et le Royaume-Uni se sont tournés vers une approche centralisée, tandis que la Suisse ou l'Autriche ont préféré le modèle décentralisé.

Interviewée par France 24, Rasha Abdul Rahim, spécialiste des questions numériques à Amnesty International, conteste le choix de la France et du Royaume-Uni. "Cela est préoccupant du point de vue des droits de l'Homme, car les données des personnes seraient stockées dans une base de données centrale, ce qui permettrait aux États d'accéder à de nouvelles quantités phénoménales d'informations sensibles et d'avoir la possibilité de recouper des données auparavant non liées", explique-t-elle.

Rasha Abdul Rahim s'inquiète ainsi des dérives possibles de ce système, qui pourrait "porter atteinte au droit à la vie privée et pourrait conférer aux gouvernements de nouveaux pouvoirs de discrimination fondés sur ces informations".

Pour éviter un tel scénario, l'Union européenne, qui plaide elle aussi pour un système décentralisé, tente d'encadrer l'utilisation de ces applications nationales. "Il est hors de question que des données liées à la santé individuelle de citoyens européens soient partagées sans leur consentement", a notamment prévenu le président de la Commission libertés civiles, Juan Fernando Lopez Aguilar.

L'Union européenne va même plus loin en exigeant une compatibilité des applications pour limiter la circulation du virus sur le territoire européen. "L'interopérabilité est cruciale : les citoyens européens doivent pouvoir être alertés d'une possible infection d'une façon sécurisée et protégée, où qu'ils se trouvent dans l'UE, et quelle que soit l'application qu'ils utilisent", a indiqué la Commission dans un communiqué. Un vœu qui, au regard des ambitions nationales, ne semble pas près d'être exaucé.