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StopCovid, une application de traçage du Covid-19 qui fait débat

L'application StopCovid envisagée par le gouvernement français doit permettre de tracer la propagation du virus. Alors que le Conseil national du numérique s’apprête à remettre, vendredi, son rapport sur cette application et que l'Assemblée nationale doit en débattre mardi, son adoption divise jusque dans la majorité. Entre flou quant aux modalités techniques et crainte d'une dérive en matière de surveillance.

Nom de code : StopCovid. Mission ? Accompagner le déconfinement en France en permettant à ses utilisateurs d'être prévenus s'il ont croisé une personne contaminée par le Covid-19. Alors que le Conseil national du numérique doit remettre, vendredi 24 avril, son rapport sur cette application et que l'Assemblée nationale doit en débattre mardi, les doutes se multiplient sur son utilité et son efficacité.

• À quoi va ressembler l'application ?

L'application StopCovid envisagée par l'exécutif, si elle est déployée, doit permettre à l'utilisateur d'être prévenu s'il a croisé une personne contaminée par le virus. Elle fonctionnerait sur la base du volontariat.

Les chercheurs franco-allemands chargés d'élaborer la future application ont publié le 18 avril leurs propositions techniques pour un système, géré par une autorité de santé centralisée.

Élaboré par les équipes de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), en collaboration avec les chercheurs de l'institut allemand Fraunhofer, ce protocole, nommé "Robert", repose sur le partage, par les personnes détectées positives au Covid-19, d'une liste d'identifiants anonymes correspondant aux personnes qu'elles ont croisées pendant la durée d'incubation du virus et détectées grâce à la technologie sans-fil Bluetooth – il n'utilise pas les données de géolocalisation des smartphones.

???? Tribune | Mieux comprendre les enjeux du #ContactTracing, le protocole de recherche #ROBERTprotocol et l’engagement de l’institut dans la lutte contre le #Covid19 : la tribune de @BSportisse, PDG d’@Inria ➡️ https://t.co/2QGmCCmRgV#StopCovid pic.twitter.com/FzSCPCy974

— Inria (@Inria) April 18, 2020

Le protocole est conçu de sorte que "personne, pas même l'État, n'ait accès à la liste des personnes diagnostiquées positives ou à la liste des interactions sociales entre les personnes", explique le PDG de l'Inria, Bruno Sportisse, dans un communiqué.

Dans ce système, un utilisateur de l'application diagnostiqué positif sera invité à "donner son consentement afin que son historique de crypto-identifiants rencontrés soit envoyé sur un serveur d'une autorité de santé sans divulguer ses propres crypto-identifiants".

Tous les utilisateurs de l'application vérifieront périodiquement auprès de ce serveur si leurs propres identifiants figurent parmi ceux jugés "à risque".

La CNIL sera consultée sur la forme finale pour vérifier que celle-ci est bien en conformité avec le droit français ainsi que les normes européennes du Règlement général sur la protection des données (RGPD).

• Pourquoi l'idée d'utiliser une application de traçage fait-elle peur ?

Ce projet de traçage des données mobiles pour endiguer le coronavirus est critiqué jusque dans les rangs de la majorité pour ses risques concernant la vie privée de ses utilisateurs, même s'il est présenté comme ne dérogeant pas à la réglementation sur les données personnelles.

Depuis le début de l'épidémie de coronavirus, plusieurs pays ont franchi le pas à l'image de la Russie, d'Israël ou encore de la Corée du Sud. Ces pays ont misé sur le traçage numérique, utilisant dans certains cas les données de géolocalisation, au grand dam de leurs détracteurs qui ont dénoncé une atteinte aux libertés.

Signe de la sensibilité du sujet, un document de la Commission européenne, vu par Reuters et portant sur une approche paneuropéenne, prévoit la destruction des données personnelles dès lors que l'épidémie de coronavirus sera sous contrôle.

Trois cents scientifiques internationaux de renom, spécialistes du domaine, ont signé une tribune où ils se déclarent "préoccupés que les solutions de suivi envisagées puissent déboucher sur une surveillance sans précédent de la société dans son ensemble". Leur texte insiste sur la nécessité d'un stockage des données décentralisé.

• Quelles sont les limites de l'utilisation ?

Auditionnée par le Sénat, la présidente de la Cnil, Marie-Laure Denis, a souligné les limites de l'utilisation d'une plateforme numérique en rappelant les conditions pour que celle-ci soit efficace.

S'appuyant sur une étude de l'université d'Oxford, elle a notamment souligné que l'application devrait être téléchargée massivement pour qu'elle produise des effets.

"Ce serait dangereux de penser qu’une application de ce type pourrait tout résoudre", a-t-elle déclaré, rappelant que la création de cette application ne saurait être que l’un des éléments d'une réponse plus globale incluant continuité des gestes barrières et capacité à tester la population.

Enfin, la présidente de la Cnil rappelle que toute la population française n'était pas équipé de smartphone

"Il y a déjà 25 % des personnes qui n’ont pas d’'ordiphone', comme on dit en français, permettant de télécharger l’appli. Et ce taux est d’autant plus élevé chez les personnes âgées. Elles ne sont que 44 %, chez les plus de 70 ans, qui ont un smartphone, contre 98 % chez les 18-25 ans", a-t-elle relevé. Autrement dit : plus de la moitié de la population à risque est d’emblée hors-jeu. Sans parler des zones blanches sur le territoire qui pourraient fausser le dispositif.

Enfin, le secrétaire d'État au Numérique, Cedric O, a émis des doutes sur la capacité de l'application à être prête pour le 11 mai, date à laquelle est pour le moment prévu le déconfinement progressif.

• Comment le vote parlementaire se déroulera-t-il ?

Sous la pression des oppositions, le gouvernement a finalement décidé, mardi, que les débats à l'Assemblée nationale sur le "tracking" et le déconfinement progressif seraient suivis de votes, dans un hémicycle censé se regarnir.

"Absolument serein", Gilles Le Gendre, le patron de la majorité, a estimé devant la presse "totalement inimaginable" un vote négatif.

Mais selon un membre du groupe majoritaire interrogé par l'AFP, "le vote va être très, très compliqué" au sein des "marcheurs" dont certains élus sont hostiles au traçage.

Pour Damien Abad (LR), il y a bel et bien "un risque de fracturation" de la majorité. Les élus souhaitant voter contre pourront se signaler en amont. Et si le scrutin n'est pas contraignant, il aura "une valeur politique forte", a-t-il prédit : en cas de vote majoritairement défavorable, "je ne vois pas comment [le gouvernement] pourrait passer outre".

Les groupes socialistes et communistes ont indiqué leur intention de voter contre lors de ce vote.

Ce vote à l'Assemblée nationale sera suivi d'un autre au Sénat, dont la date n'a pas encore été arrêtée.