Des marchés de plein air ont rouvert, mais les règles à suivre pour respecter la distanciation sociale sont nombreuses. Le coronavirus complique ainsi la vie des agriculteurs et des habitués, mais les perspectives sont désormais moins catastrophiques qu’il y a trois semaines. Reportage
Crest n’est ni New York, ni Londres, ni Paris mais la petite ville de la Drôme s’est elle aussi métamorphosée depuis l’instauration du confinement lié à la pandémie de Covid-19. La Grande Rue, d’habitude pleine à craquer le jour du marché, est déserte, les rideaux des magasins restent baissés.
Samedi 4 avril, le grand marché de plein air hebdomadaire a été déplacé sur la place du Champ de Mars, plus grande, de l’autre côté de la Drôme, la rivière qui traverse la ville. Pour respecter les nouvelles règles sanitaires imposées partout en France, les clients doivent attendre dans une file et entrer un à un, espacés de deux mètres, avant de pénétrer dans le marché.
Ensuite, chacun doit se nettoyer les mains avec du gel hydroalcoolique et suivre un parcours à sens unique permettant d’accéder à une vingtaine d’étals espacés de 15 m. Les producteurs sont deux fois moins nombreux que d’habitude. Les agriculteurs habituellement présents sur le marché ne sont acceptés désormais qu’une semaine sur deux. Rien à voir avec l’ambiance habituelle…
Les habitués déboussolés
"C’est très déprimant d’attendre comme ça. J’ai fait la queue, mais finalement je n’ai presque rien acheté," dit Laure, une habituée du marché, mère de deux adolescents, entourée de trois amies qui se tiennent à la distance désormais réglementaire d’1,5 m.
"Je n’ai pas vécu la guerre mais cette situation donne une impression de pénurie, de rationnement. Je ne trouve rien de ce que j’ai l’habitude d’acheter. Mon boulanger n’est pas là, je n’ai pas trouvé les fruits et légumes que je cherchais. Je suis déçue. On s’est plaint pour que le marché rouvre, mais la situation est encore difficile. Il y a beaucoup de monde et peu de produits."
Le marché de Crest avait fermé lorsque le gouvernement a interdit les marchés ouverts le 23 mars. Quelques jours plus tard, les chambres d'agriculture et la FNSEA, principal syndicat agricole, ont négocié avec le gouvernement un code de bonne conduite. Les villes qui le respectent ont depuis été autorisées à rouvrir leurs marchés, et c'est le préfet qui supervise la démarche.
Les visages cachés dans des écharpes alors qu’il fait une vingtaine de degrés, les habitués sont souvent déçus et un peu déboussolés. Il n’est que dix heures et devant la longueur de la file d’attente, d'une quarantaine de personnes, un jeune homme reste figé avec son sac au bout de la rue. "Ça fait réfléchir. Je ne vois pas comment on pourra tous faire le tour du marché avant la fermeture," commente Éric, la trentaine. Dans la file d’attente, une grand-mère, ancienne professeure de théâtre, tempère : "Ma petite-fille me manque. C’est ça le plus difficile en ce moment".
Des petits producteurs se mettent au "drive"
Pour faire face aux restrictions imposées aux marchés de plein air, les agriculteurs vendent leurs produits à la ferme et utilisent davantage des plateformes en ligne. Pour acheter des produits de qualité, de nouveaux circuits de distribution se mettent en place.
De l’autre côté de la ville, sept producteurs se sont rassemblés dans un "BioDrive" sur une plateforme appelée OpenFoodFrance. Ils prennent des commandes sur Internet du mardi au jeudi, préparent les paniers le vendredi et deux d’entre eux distribuent les paniers le samedi.
Antoine Delaitre, qui élève une trentaine de chèvres à Autichamp, près de Crest, vend d’habitude ses fromages bio sur le marché. "La solution du 'drive' n’est pas idéale parce que les commandes n’atteignent pas encore le niveau des ventes au marché. Elles représentent à peu près la moitié. En alternant le 'drive' et le marché je pourrai réduire les pertes."
Face à cette nouvelle donne, l’éleveur a adapté son travail pour limiter les dégâts. "Je vais affiner davantage mes fromages pour essayer de les vendre plus tard et je vais produire plus de tomme, mais il faudra bien vendre mes fromages tôt ou tard, et cela représente plus de travail" raconte Antoine Delaitre, dont les enfants, sans école, l’accompagnent désormais au travail.
L’agriculture face à la pénurie de saisonniers
En plus des problèmes de distribution, les agriculteurs font face à la disparition des saisonniers, venant souvent d‘Europe de l’Est ou du Maghreb. "Les saisonniers habituels, qu'ils viennent d'autres pays ou de France sont soit confinés, soit ne veulent pas se déplacer à cause de la crise, ce que l'on peut comprendre", estime Sébastien Windsor, le président national des Chambres d’agriculture. "Au départ, à cause de la crise, il nous manquait environ 200 000 saisonniers."
Mais ce problème se résorbe peu à peu dans certains secteurs, notamment grâce à l’appel lancé aux travailleurs d’autres secteurs paralysés par la crise. "Nous avons désormais un nombre non négligeable de volontaires, environs 50 000 dans toute la France. Mais nous n'aurons pas assez de candidats pour remplacer tous les saisonniers. On va essayer de limiter la casse", ajoute Sébastien Windsor.
Les producteurs et consommateurs de la Drôme restent également optimistes depuis que des grandes surfaces ont décidé de vendre en priorité la production française. "Je pense que c'est logique qu'ils vendent des produits français. J'étais très déçu de voir les grandes surfaces et les primeurs vendre au départ tant de produits d'importation. Il est important pour moi d’acheter les produits locaux. Je soutiens les producteurs de notre département," dit Véronique, 68 ans, qui fait ses courses à la fois au marché et au "BioDrive".
"J’espère que cette crise changera la situation, qu’on soutiendra davantage les agriculteurs et qu’on produira à nouveau en France, poursuit Véronique. Il faut soutenir la production agricole et industrielle française, surtout dans la crise actuelle !"