Auditionné jeudi par les députés, le Premier ministre français, Édouard Philippe, a évoqué l'idée d'une fin progressive du confinement imposé pour enrayer la propagation du Covid-19. Reste à en préciser les modalités.
Édouard Philippe est passé sur le grill jeudi 2 avril. Devant une mission d'information à l'Assemblée nationale, le Premier ministre français a été prié d'expliquer les scénarios actuellement envisagés par l'exécutif pour la sortie du confinement. Celui-ci est pour le moment prévu jusqu'au 15 avril mais sera très probablement à nouveau prolongé.
"Nous espérons, et là encore je suis prudent, pouvoir avancer sur le sujet et présenter des éléments d'une stratégie de déconfinement dans les jours qui viennent, de façon à donner une perspective à nos concitoyens", a expliqué Édouard Philippe. En attendant les annonces du gouvernement français, voici les différentes options qui s'offrent à lui.
• Le déconfinement total : impossible en l'absence d'immunité collective
Interrogé sur le calendrier et le processus envisagés, Édouard Philippe estime "probable que nous ne nous acheminons pas vers un déconfinement général et absolu en une fois, partout et pour tout le monde", assurant que la décision "prendra en compte avant tout les impératifs de santé".
"Si on sort brutalement du confinement, un certain nombre de personnes qui n'auront jamais été en contact avec le virus pourraient se trouver exposées à une contamination", explique Karine Lacombe, cheffe du service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, interrogée sur l'antenne de France 24. "Cela conduirait à une deuxième vague d'infection qui entrainerait de nouveau une saturation des services de soins."
"Un confinement séquentiel et différentiel est important", estime l'épidémiologiste. Car "le pic épidémique ne va pas arriver partout en même temps, note Chloé Hecketsweiler, journaliste santé au Monde, dans le podcast Pandémie. On a été confinés tous en même temps mais le virus circule de manière différenciée selon les régions."
Pour vaincre définitivement l'épidémie, la population doit atteindre l'immunité collective. Selon ce principe – appelé également immunité grégaire –, la propagation d'une maladie contagieuse dans une population est enrayée à partir du moment où la majorité de cette population est immunisée.
Chaque personne atteint une immunité individuelle dès lors qu'elle développe des anticorps contre une maladie, soit par une primo-contamination, soit par une vaccination. Les individus vaccinés se protègent alors eux-mêmes et agissent comme "pare-feu" pour les non-vaccinés. On estime qu'une population donnée atteint l'immunité collective lorsque 60 % de sa population possède cette immunité individuelle.
• Déconfiner par région : possible avec des tests massifs
Interrogé par le président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand (LREM), Édouard Philippe a qualifié la question du déconfinement de "redoutablement complexe", rappelant qu'il n'y avait "pas de précédent" ni de "méthode éprouvée".
Il a évoqué la possibilité d'"un déconfinement qui serait régionalisé" et "sujet à une politique de tests, en fonction, qui sait, de classes d'âge". Un scénario qui est également étudié en Italie où le président du Conseil, Giuseppe Conte, a évoqué un "retour à la normale" qui devra se faire "graduellement".
Cependant, ce déconfinement partiel est conditionné à des impératifs techniques. Pour pouvoir fonctionner, le confinement régionalisé devra en effet être assorti de dépistages massifs, selon Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l'Institut Pasteur et membre du Conseil scientifique, interviewé sur Europe 1.
"À ce moment-là, il faudra qu'on soit prêt, explique-t-il. D'une part avec des capacités de tests de dépistages, avec des équipes dédiées, de façon à identifier les foyers et les isoler très localement. Il faudra qu'on ait toute cette surveillance disponible, et décider qui et comment pourra reprendre les activités nécessaires à tous et à l’économie."
On assisterait alors à un retour à la logique d'isolement de "clusters", comme celle qui a prévalu dans les premiers temps de l'épidémie.
Le gouvernement semble être déterminé à s'en donner les moyens puisque la conférence de presse conjointe tenue le 28 mars entre Édouard Philippe et Olivier Véran insistait notamment sur la montée en régime du dépistage, pourtant longtemps laissé de côté malgré les recommandations de l'OMS. Olivier Véran a ainsi promis "50 000 tests" classiques par jour d'ici fin avril, auxquels s'ajouteront "plus de 100 000" tests rapides par jour "au mois de juin".
• Déconfiner par tranche d'âge : pour une relance plus rapide de l'économie
Autre scénario évoqué par Édouard Philippe et dont l'existence a été confirmée par l'épidémiologiste Arnaud Fontanet : un confinement prolongé pour les personnes vulnérables, notamment les personnes âgées, le temps d'atteindre l'immunité collective.
"Elles devront rester confinées plus longtemps. À partir de 60 ans, le risque de développer une forme grave et de mourir de la maladie est plus important", explique le médecin, qui plaide notamment pour règles drastiques dans les Ehpad. "Il faudra rester extrêmement prudent car si elles étaient à nouveau exposées au virus, elles seraient plus à même de faire des formes graves."
Ce scénario permettrait de libérer plus rapidement la population active, moins vulnérable au coronavirus, et relancer progressivement l'économie du pays.
• Le "stop-and-go" du confinement : une option compliquée pour la reprise économique
Le scénario avait fait grand bruit quand il avait fuité à la mi-mars. Un rapport publié par l’équipe de Neil Ferguson, épidémiologiste à l’Imperial College de Londres, annonçait des mesures sur une durée vertigineuse de 18 mois. Cette option prévoit le confinement par intermittence "jusqu'à ce que des stocks importants de vaccins soient disponibles pour immuniser la population, ce qui pourrait être le cas pendant 18 mois ou plus".
"Une des premières stratégies imaginées, c'est un 'stop-and-go'. Après la première vague, on relâche la population qui retrouve sa vie d'avant. Le virus recircule, ce qui nécessite un nouveau confinement pour éviter l'engorgement des systèmes de santé. Et ainsi de suite jusqu'à l'immunité collective", explique Chloé Hecketsweiler du Monde.
Cependant, si ce scénario "marche sur le papier", il paraît difficile à mettre en place, selon cette spécialiste des questions de santé.
"Ça ne marche pas forcément dans la vie réelle. Les gens vont se lasser, le confinement est compliqué à tenir, analyse la journaliste. Politiquement, ce scénario est difficile à défendre et la vie économique ne peut pas repartir."
• La surveillance généralisée : "pas à l'ordre du jour" en France
Le scénario paraît sortir de la série d'anticipation "Black Mirror" mais a pourtant été adopté en Chine et en Corée du Sud pour stopper la propagation : la traque électronique des porteurs de virus.
Interrogé sur la possibilité de développer des solutions de géolocalisation des Françaises et Français, le Premier ministre Édouard Philippe a assuré que cette solution n'était pas envisagée pour le moment : "Cela a servi, dans certains pays, à mettre à l’isolement des personnes qui étaient malades ou qui avaient côtoyé quelqu’un qui l’était. En France, ce ne serait pas légalement permis."
Selon le média spécialisé Numerama, le Premier ministre a cependant précisé qu'il n'était pas exclu de développer des outils pour "mieux tracer la circulation du virus" qui se baserait sur l'adhésion volontaire des citoyens.
Cette option est pourtant sérieusement envisagée par l'Allemagne qui, s'inspirant du dispositif en place à Singapour, veut identifier les personnes ayant été en contact avec une personne infectée grâce à leur téléphone.