Alors que la population française a reçu l'ordre de se confiner pour éviter la propagation du coronavirus, la majorité des caissières de supermarché restent à leur poste. Elles jouent un rôle vital, tout en risquant leur santé face au Covid-19.
Alors que le président Emmanuel Macron déclarait que la France était "en guerre" contre le coronavirus dans un discours empreint de gravité, lundi 16 mars, Joanna, caissière de 40 ans employée dans un supermarché près de Rennes, en Bretagne, affrontait déjà les premiers assauts de cet "ennemi invisible".
Dans les heures qui ont précédé cette adresse présidentielle, alors que des rumeurs faisaient état d'un possible confinement face au Covid-19, les supermarchés comme celui de Joanna ont été balayés par une vague de consommateurs. Inquiets face à une éventuelle pénurie, ils ont fait une razzia sur les rouleaux de papier toilette, le riz ou encore les pâtes.
"C'était très compliqué de se faufiler entre les rayons. Une fois les courses finies, les gens ont dû attendre une heure pour passer en caisse", raconte-t-elle tout en décrivant une queue qui traversait tout le magasin. "À la fin de la journée, la plupart des rayons étaient vides."
À l'instar de certains de ses collègues, Joanna s'est portée volontaire ce jour-là, anticipant la ruée vers le supermarché. Elle a fait des heures supplémentaires, réduit sa pause déjeuner au strict minimum et n'a pas hésité à recommencer le lendemain.
Des métiers précaires devenus essentiels
Bien que le gouvernement français ait ordonné aux citoyens de rester chez eux, arrêter le travail n'est pas une option pour les caissières, des femmes dans leur grande majorité (90 % des 150 000 employés du secteurs) rémunérées au salaire minimum.
Comme très souvent dans ce genre de crise, les risques pèsent sur les professions les plus précaires. Ces dernières sont souvent dénigrées, jusqu'au jour où les gouvernants et la population réalisent qu'elles sont en fait essentielles.
Au Super U, où travaille Joanna, dans les environs de Rennes, les employés ayant de jeunes enfants ont eu l'autorisation de rester confinés, tandis que ceux qui ont des pathologies fragiles sont en arrêt maladie. Mais dans d'autres endroits en France, certains travailleurs en contrat à courte durée ont reçu l'ordre de travailler à tout prix.
"Notre patron a conscience des enjeux. Il a fait son possible pour nous trouver des gants, des masques, des lingettes désinfectantes ou encore des vitres en plexi pour nous protéger au maximum", décrit Joanna, dont les enfants de 10 et 11 ans sont assez grands pour rester seul à la maison pendant qu'elle et son époux travaillent à l'extérieur.
Dans le magasin, les conditions de travail ont considérablement changé depuis de début de la ruée vers les supermarchés. Il ferme désormais une heure plus tôt et des mesures ont été prises pour éviter les rassemblements. Un agent de sécurité organise les files à l'extérieur tout en donnant l'accès prioritairement aux personnes âgées, handicapées ou aux personnels soignants.
Au lendemain du discours d'Emmanuel Macron, des vitres en plexiglas ont été posées, mais il a fallu attendre quatre jours pour voir arriver un premier stock de masques. "J'ai fabriqué les miens à la maison car ceux qui sont fournis font mal sur l'arête du nez", précise Joanna. "Ils ne durent que deux heures, mais j'ai une boîte dans laquelle je les mets. Je les utilise au fur et à mesure pour pouvoir les changer quand j'en ai besoin." [Depuis cette interview, de nouveaux masques ont été livrés au supermarché. Joanna précise que leur patron à leur "écoute" a acheté "un nouveau modèle de masque qui se portent mieux pour nous".]
Ses collègues qui approvisionnement les rayons ont aussi reçu un équipement de protection, "mais la plupart ne les portent pas car les gants se déchirent vite et cela est compliqué de respirer à travers les masques", ajoute-t-elle. "Depuis cette semaine, ils ne viennent plus le matin mais le soir, pour ne plus du tout être au contact des clients du matin".
Du simple film plastique
Malgré ces mesures de protection, Joanna est bien consciente du risque de contamination. "Les gestes barrière ne sont pas innés. J'ai du mal à éviter de me grattouiller ou de repousser une mèche de cheveux", explique l'employée qui porte désormais ses cheveux attachés.
Respecter les distances de protection implique également une nouvelle organisation des caisses. "Un de mes collègues a refusé de travailler là où la caisse voisine est en quinconce, car les clients passent alors dans notre dos", décrit Joanna. "Nous avons donc réduit le nombre de caisses pour qu'elles soient toutes dans le même sens".
Dans d'autres supermarchés, où les mesures sont dangereusement insuffisantes, les caissières ont été obligées de confectionner des protections en carton ou de se cacher derrière des films plastiques. Mais les clients ne respectent pas toujours ces distances de sécurité. Selon Joanna, il est difficile, même pendant cette période de pandémie de changer leurs habitudes : "Il y a deux types de clients, ceux qui ont conscience du danger et qui font leurs courses pour la semaine ou plus, et ceux qui viennent pour passer le temps. Certains viennent tous les jours, voire plusieurs fois par jour, pour des broutilles à chaque fois. Ce matin, j'ai passé une cliente avec seulement deux plaquettes de beurre".
"Qui suis-je pour leur faire la morale ? Ce qui serait vraiment percutant, c'est de mettre une patrouille de police ou de gendarme qui verbaliserait ces personnes qui n'ont pas de chariot d'alimentaire pour tenir plusieurs jours", ajoute-t-elle.
Coronavirus : pas de masques, mais un habillage en cellophane pour les caissières de ce supermarché du Puy-de-Dôme
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"Ils sont nos héros"
Depuis le début du confinement, Joanna et ses collègues ont reçu de nombreux témoignages de soutien et d'encouragements. Un changement réconfortant pour cette profession qui fait souvent face à l'indifférence. "La première semaine, quasi 100 % des clients nous ont souhaité bon courage. Cette semaine, il y en a moins, mais plusieurs personnes nous ont remercié d'être là. Et parfois, au fil des discussions avec certains clients, on a réussi à connaître le métier de certains, et j'ai remercié également ces personnes", précise Joanna tout en citant les routiers, les personnels soignants, les éboueurs ou encore tout simplement les personnes qui viennent faire leurs courses pour un voisin ou un proche qui ne peut pas se déplacer.
La direction de Super U a salué ses équipes dans un message publié sur Facebook et placardé dans ses magasins. Elle n'a cependant rien proposé d'autre pour les remercier.
Joanna, qui travaille depuis 15 ans dans le même supermarché et gagne le salaire minimum pour 30 heures de travail hebdomadaire, attend de savoir si elle va bénéficier d'une prime de 1 000 euros défiscalisée et annoncée par d'autres chaînes de grands magasins, comme préconisé par le gouvernement.
"Pour le gouvernement, je ne dis pas merci car ils savaient ce qui allait arriver et ils n'ont pas pris les devants. Et surtout, ils disent tout et son contraire : 'Restez à la maison, mais n'oubliez pas d'aller travailler'", estime Joanna.
Ses pensées vont surtout vers les soignants, qui dénoncent depuis des mois leurs conditions de travail et qui luttent aujourd'hui contre cette pandémie. "Le personnel soignant est beaucoup mis en avant, et à juste titre. Ils font un travail de fou", insiste la caissière. "Il y a quelques mois, ils étaient gazés quand ils osaient manifester dans la rue, aujourd'hui ils sont nos héros."
Traduit de l'original en anglais par Stéphanie Trouillard