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Coronavirus : au Liban, la crise de trop ?

Les autorités libanaises ne cessent de marteler que la propagation du Covid-19 est maîtrisée, mais son évolution reste incertaine. La population est appelée à respecter les règles de confinement afin de contrôler la situation et ne pas saturer les hôpitaux. Le Liban, qui a enregistré son premier cas positif fin février, a dépassé les 300 cas de Covid-19, alors que le pays fait face à une crise économique sans précédent.

Afin de renforcer les mesures de prévention et face à la pandémie actuelle de Covid-19, le Liban a décrété, dimanche 15 mars, la "mobilisation générale" jusqu’au 29 mars.

L’unique aéroport international du pays a aussi été fermé mercredi 18 mars. Une mesure jugée tardive par certains spécialistes, d’autant que le premier cas, déclaré le 20 février, concernait une citoyenne libanaise de retour d’Iran, foyer le plus important de la pandémie dans la région. Désormais, les frontières terrestres du pays du Cèdre sont aussi fermées.

Ces mesures n'arrivent-elles pas trop tard ? "Le Liban ne pouvait pas garder ses ressortissants hors du pays en refermant ses frontières plus tôt qu'il ne l'a fait. Mais en même temps, il y a eu beaucoup de légèreté et de négligence à s'assurer que tous les voyageurs en provenance de pays en épidémie, et surtout d'Iran, soient proprement isolés et sous surveillance. Ce ne fut pas le cas", explique à France 24 l’épidémiologiste Salim Adib de l’Université américaine de Beyrouth.

La "mobilisation générale" actuellement en vigueur est une disposition de la loi sur la défense nationale, qui permet au gouvernement de gérer les ressources du pays et de réquisitionner ce qui lui semble nécessaire dans la lutte contre le virus.

"Se conformer aux directives de confinement, mais sans panique"

Mais sans la mobilisation de la population et le respect du confinement, aucune mesure ne serait efficace. Comme ce fut le cas dans plusieurs autres pays, malgré les appels incessants au confinement volontaire de la population, les citoyens libanais ont continué à sortir et à se retrouver en groupe pendant plusieurs jours. Les forces de l’ordre ont dû intervenir pour disperser la foule à plusieurs endroits de Beyrouth par exemple.

"Tous les Libanais doivent être prudents et se conformer aux directives publiques de confinement, mais sans panique, car au bout de six semaines nous n'avons toujours pas plus de 24 cas sévères/graves, dont quatre décès, sur une population de 5 millions d’habitants. La courbe d’évolution de l'épidémie au Liban est plate. Le confinement a joué, ainsi que la fermeture des frontières, et l'émergence de l'immunité collective dans une population jeune", affirme Salim Adib.

"Cette isolation est le moyen le plus sûr de 'casser' la chaîne de transmission du virus, mais elle est psychologiquement éprouvante sur le long terme. Mes enfants et moi sommes confinés à la maison, on essaye de s’occuper mais cela ne remplacera jamais la liberté de sortir, de circuler et de choisir comment remplir notre temps libre", raconte Majda, habitante de Zaitouna Bay.

Les mesures prises par les autorités ont finalement été durcies, afin d’obliger la population à éviter les rassemblements et les sorties. Le confinement est devenu obligatoire à partir du 18 mars pour deux semaines. Les écoles, universités, bars, restaurants, discothèques, musées, salles de sports et centres commerciaux ont fermé leurs portes sur ordre du gouvernement.

Le secteur de la santé fragilisé par la crise

La difficulté au Liban réside dans le fait que le secteur de la santé était déjà touché par la crise économique qui dure depuis plusieurs mois, avant même la propagation du coronavirus.

Peu de structures sont habilitées à recevoir les malades du Covid-19. L’hôpital universitaire Rafik-Hariri à Beyrouth est en première ligne : c’est la structure publique qui reçoit pour le moment les personnes atteintes du virus et nécessitant une hospitalisation.

"En principe, l’hôpital était le seul hôpital public équipé pour recevoir les patients atteints du Covid-19, mais d’autres hôpitaux sont en train de se préparer. Nous allons d’ailleurs former cette semaine plusieurs équipes soignantes d’hôpitaux de différentes régions du Liban pour qu’elles puissent aussi faire face à l’épidémie", nous explique Wahida Ghalayini, directrice des soins à l’Hôpital Rafik Hariri.

Un accord a aussi été passé entre les autorités sanitaires et la Croix-Rouge pour mettre à disposition 19 centres de l’organisation internationale et former des centaines de secouristes pour pouvoir effectuer les transferts.

"Nous avons assez de personnel de santé pour faire face"

Mais la ministre de l’Information libanaise, Manal Abdel Samad, se veut rassurante pour l’instant. "Les hôpitaux gouvernementaux et privés disposent d’environ 12 000 lits, dont 500 lits avec des équipements respiratoires. L’État va soutenir les hôpitaux gouvernementaux dans l’achat de plus de matériel grâce à une somme octroyée par la Banque mondiale [40 millions de dollars octroyés par la Banque mondiale aux hôpitaux gouvernementaux dans le cadre du projet du "Health resilience project", NDLR]. Si les mesures de confinement sont respectées, je pense que ces places seront suffisantes, notamment dans les salles de réanimation. La situation sera plus grave si les Libanais ne respectent pas ces mesures car dans ce cas-là, il sera difficile d’endiguer l’épidémie et par conséquent le nombre de lits sera insuffisant", a-t-elle confié cette semaine à France 24.

Concernant le personnel hospitalier, à ce stade de la crise, les autorités libanaises assurent qu’il n’y a pas de manque. Mais la question de leur propre protection se pose, et les responsables hospitaliers craignent de manque de matériel.

"Pour le moment, nous avons assez de personnel de santé pour faire face à la crise. Le nombre d’infirmiers est suffisant par exemple, mais s’ils commencent à tomber malade, nous aurons un problème. Malheureusement, nous n’avons pas assez de masques par exemple, ce qui nous inquiète beaucoup à l’Ordre des infirmiers. Nous avons besoin de les protéger et de défendre leurs droits. Autrement nous aurons un vrai problème ", déclare à France 24 Mirna Doumit, présidente de l’Ordre des infirmiers et infirmières au Liban.

Pour faire face à toute propagation, le gouvernement libanais a demandé au secteur privé de se préparer à épauler les infrastructures publiques. La collaboration est déjà en place. Pour rappel, les hôpitaux privés représentent 82 % de l’offre hospitalière au Liban.