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Terrorisme et psychiatrie : l'attaque de Hanau ravive la controverse

Si le caractère raciste de l’attaque de Hanau survenue mercredi est privilégié par la police allemande, le profil du tueur, paranoïaque et complotiste, interroge, à nouveau, sur les liens entre terrorisme et problèmes psychiatriques.

"Motivation xénophobe". Pour les autorités allemandes, l’assassinat de neuf personnes d’origines étrangères, mercredi 19 février, dans une attaque visant des bars à chicha dans la ville de Hanau, dans le centre du pays, est surtout lié à ce "poison". Le principal suspect, retrouvé mort à son domicile après la tuerie, a laissé derrière lui un manifeste de 23 pages mêlant appels au meurtre xénophobes et diatribes paranoïaques.

L’acte meurtrier d’un "homme fou" ?

Mais sur le terrain politique, l’attaque donne lieu à une veritable bataille. Tandis que la chancelière allemande, Angela Merkel, dénonce "le poison" du racisme, le parti d’extrême droite allemand AfD, accusé de normaliser un discours de haine vis-à-vis des étrangers, récuse le caractère idéologique de la tuerie. Selon son co-dirigeant, Joerg Meuthen, la fusillade n’est "ni de gauche ni de droite" mais l’acte d’un "homme fou".

Des propos qui s’appuient sur le mode opératoire du tueur présumé. Dans son manifeste, il affirmait notamment qu’il était observé depuis l'enfance par une "organisation secrète" qui peut "lire dans ses pensées". L’homme de 43 ans avait également appelé le peuple américain à se soulever contre "une société secrète invisible", dans une vidéo en anglais publié sur YouTube, aujourd’hui supprimée.

Pour autant, ces éléments ne suffisent pas à expliquer le motif de l’attaque, estime Cynthia Miller-Idriss, sociologue. Interviewée sur France 24, cette spécialiste des questions de radicalisation estime que les troubles psychologiques peuvent favoriser le passage à l'acte, mais n'en sont pas la cause : "Les personnes ayant des problèmes de santé mentales peuvent être plus sensibles aux rhétoriques extrémistes. Ce facteur, au même titre qu'une situation de précarité économique ou un traumatisme d’enfance, peut amplifier le sentiment de menace et la nécessité d’actions perçues comme 'héroïques' en réponse. Mais il est essentiel de bien séparer cette vulnérabilité psychologique du plan d’extermination xénophobe clairement mis en place par le tueur."

Une vision contestée par le psychologue et criminologue Jean Pierre Bouchard, qui considère qu’à ce stade la piste de la maladie mentale ne doit pas être écartée : "Le délire de persécution est un mécanisme très connu. Des paranoïaques persuadés qu’on leur en veut, comme cela semble être le cas avec le tueur de Hanau, peuvent passer à l’acte pour se venger de manière symbolique ou réelle. Ce type de personnes est totalement capable de préméditer une action violente. Les malades mentaux sont nourris, pétris par ce qui les entoure donc une idéologie politique affirmée ne discrédite pas la piste de la maladie, notamment lorsqu’elle est délirante".

Un "loup solitaire" ?

Alors que l’Allemagne avait renforcé, ces derniers mois, son dispositif législatif et sécuritaire pour surveiller les contenus haineux sur la Toile, l’attaque de Hanau met à nouveau en lumière la difficulté de contrer ces terroristes agissant apparemment seuls. Surnommés "les loups solitaires", ils passent sous les radars de surveillance et n’ont parfois pas de liens avec des réseaux. Mais ce modus operandi peut-il correspondre à un cas de maladie mentale ? 

"La plupart du temps, les malades mentaux qui passent à l’acte le font seul, c’est un schéma classique" explique Jean Pierre Bouchard. "Le fait que le suspect n’a jamais eu affaire à la justice à 43 ans et qu’il ne semble pas avoir d’appétence particulière pour la violence sont eux aussi des éléments qui posent question."

Un débat bien présent en France

En France plusieurs affaires récentes ont suscité des débats de ce type. L’attaque au couteau à la préfecture de police de Paris, le 3 octobre 2019, avait d’abord été traitée comme une affaire terroriste. Mais le parquet s'est dessaisi. C’est finalement le "délire mystique et suicidaire" du fonctionnaire qui a été retenu pour expliquer son passage à l’acte. Pour l’attaque de la mosquée de Bayonne, le 28 octobre 2019, la motivation idéologique sera écartée du fait de l'altération au moins partielle du discernement du suspect.

La question psychologique ne peut donc être exclue d’emblée dans les affaires de terrorisme. Elle doit néanmoins être maniée avec précaution selon Nathalie Goulet, sénatrice centriste qui a présidé à la commission d'enquête sur la lutte contre le jihadisme : "La société a tendance à considérer que les terroristes sont des déséquilibrés pour éviter de se confronter aux vrais problèmes. Mais l’aspect psychologique ne peut être retenu que s’il y a un ensemble de faisceaux concordants recueillis au cour de l’enquête de voisinage, l’analyse des données personnelles etc. C’est ensuite le travail des experts psychiatres d’établir si l’attaquant avait pleinement conscience de son acte."