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Réforme des retraites : blocage à l'Assemblée et crispation à la conférence de financement

Après trois jours d'examen rythmés par des rappels au règlement, des suspensions de séances et des tensions au sujet d'amendements identiques, les députés ont à peine entamé l'examen du premier article du projet de réforme des retraites. La conférence de financement est également mal partie, la CGT ayant menacé de la quitter.

La guerre d'usure annoncée à l'Assemblée nationale tient toutes ses promesses : au troisième jour des débats sur la réforme des retraites, mercredi 19 février, rappels au règlement et suspensions se sont succédé dans une grande tension, empêchant l'avancée des travaux sur les milliers d'amendements.

Dès l'ouverture de la séance, le ton a été donné avec des rappels au règlement du groupe Les Républicains (LR) réclamant des éclairages sur le financement de la réforme, et de la gauche dénonçant les règles en vigueur pour l'examen des 41 000 amendements.

Dans une atmosphère houleuse, les trois groupes de gauche – Parti socialiste (PS), Parti communiste (PCF), La France insoumise (LFI) – ont contesté les mesures prises la veille en conférence des présidents de l'Assemblée pour quadriller le débat, prévoyant notamment un seul orateur sur les amendements identiques.

Au perchoir, Richard Ferrand (LREM) a défendu l'application d'une "règle constante" et exclu toute nouvelle conférence des présidents au motif que "les humeurs changeraient".

La gauche multiplie les rappels au règlement et accuse la présidence de l'Assemblée d'avoir "changé la règle" concernant l'examen des amendements, ce que dément @RichardFerrand.
> Troisième suspension de séance en une heure.#Retraites #DirectAN pic.twitter.com/FZQo9Ky6b6

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Règle d'examen des amendements à objets identiques : les explications de@RichardFerrand.#Retraites #DirectAN pic.twitter.com/JB2EuVEwhB

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"Attention, vous jouez avec le feu"

Plusieurs suspensions de séance ont suivi, entrecoupées de l'examen d'une poignée d'amendements, rappelant la paralysie de juillet 2018 lors de l'examen du projet de révision constitutionnelle, victime collatérale de l'affaire Benalla.

Lors d'une des multiples pauses, à la veille d'une nouvelle journée interprofessionnelle de mobilisation, plusieurs insoumis et communistes ont entonné le chant des Gilets jaunes "On est là".

"Quelle image donnons-nous de nos travaux ? C'est de l'antiparlementarisme de base", s'est offusqué le co-rapporteur Nicolas Turquois (MoDem), applaudi par la majorité, debout, tandis que le secrétaire d'État Laurent Pietraszewski plaidait pour en revenir au débat.

Sur Twitter, des élus disaient leur "honte" que l'Assemblée "se transforme en cirque" ou déploraient "un concours Lépine de l'obstruction désolant".

"Attention, vous jouez avec le feu", a aussi lancé le chef de file des députés LREM Gilles Le Gendre à l'opposition. "La question n'est plus celle du débat sur les retraites mais celle de la défense des institutions", s'est-il égosillé, dans une intervention conclue par une standing ovation des "marcheurs" et une énième suspension de séance.

Débat enlisé depuis 15 h : "La question n'est plus celle du débat sur les retraites, mais celle de la défense de notre institution", s'indigne à son tour @GillesLeGendre#Retraites #DirectAN pic.twitter.com/hFzAA13vdE

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"Vous avez raison, ce système n’est pas parfaitement universel"

Depuis lundi, les débats patinent sur cette réforme visant à créer un système de retraites par points présenté par le gouvernement comme "universel", ce que conteste l'opposition. Or, pour la première fois, un membre de la majorité, le co-rapporteur du projet de loi a reconnu mercredi que le futur système ne serait "pas parfaitement, parfaitement universel", suscitant les applaudissements des opposants à la réforme.

Quand le rapporteur du projet de loi avoue que le système de retraites proposé par le gouvernement par le gouvernement "n'est pas parfaitement universel" ! #DirectAN pic.twitter.com/L7Skgri2wr

— Débat Retraites (@DebatRetraites) February 19, 2020

C’est dans ce contexte et après de longues discussions sur le titre même du projet de loi que les députés ont enfin pu entamer en soirée l'examen de l'article 1er, consacré aux "principes généraux".

Avec Annie Genevard (LR) au perchoir, la tension est un peu retombée, dans un hémicycle toujours assez fourni. Droite et gauche ont contesté que les objectifs de la réforme soient l'"équité", la "solidarité" ou encore la "liberté de choix pour les assurés", comme mis en avant dans le projet de loi dans un pur "geste littéraire", loin "de la réalité", selon les mots d'Éric Woerth (LR).

Alors que la co-rapporteure Corinne Vignon s'est prévalue du soutien à la réforme des Français rencontrés par les "marcheurs", le communiste Sébastien Jumel a demandé qui elle avait pu rencontrer dans ces "réunions Tupperware", s'attirant claquements de pupitre et accusations de sexisme par la majorité, avec une nouvelle suspension de séance à la clé.

.@corinnevignon (LaREM) : "Faire croire aux Françaises et aux Français qu'une majorité écrasante de nos concitoyens sont contre cette réforme est une pure imposture."#DirectAN #Retraites pic.twitter.com/Vn8vhYFSMH

— LCP (@LCP) February 19, 2020

.@sebastienjumel (PCF) à @corinnevignon (LaREM) : "Je ne sais pas, madame l'ambassadrice, qui vous avez rencontré dans vos réunions Tupperware..."
>> Sa prise de parole est vivement contestée sur les bancs de la majorité.#DirectAN #Retraites pic.twitter.com/LRdNKJvqct

— LCP (@LCP) February 19, 2020

Dans l'espoir que le calendrier puisse tenir, les députés siègeront au moins jusqu'au 6 mars, avec des travaux ce week-end.

Le spectre de l'utilisation du "49-3", arme de la Constitution qui permet au gouvernement d'abréger les débats et de faire adopter un projet de loi sans vote, plane. "On va vers l'inconnu total", admet une source gouvernementale, qui dit assister "à ce triste spectacle bras ballants".

Ultimatum de la CGT à la conférence de financement

Pour ne rien arranger, le blocage est également à l’ordre du jour de la conférence de financement chargée de trouver des solutions pour ramener le système à l’équilibre d’ici à 2027 et dont les travaux ont démarré dans la douleur mardi.

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a expliqué, mercredi 19 février, qu'après avoir présenté leurs propositions la veille, "la balle était dans le camp du gouvernement" et qu'il attendait sa réponse d'ici la prochaine réunion de la conférence "le 10 mars".

Dans un communiqué publié mercredi matin, la CGT avait précisé que sans réponse du gouvernement à ses propositions (hausse des salaires, égalité homme-femmes, etc.), elle interrogerait "dès la semaine prochaine" ses "instances dirigeantes" quant à "la pertinence de maintenir sa présence" à cette conférence initialement suggérée par la CFDT et menée parallèlement à l'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale.

Une forme de rétropédalage après les propos tenus encore plus tôt par la négociatrice retraites du syndicat, Catherine Perret, qui avait annoncé sur Radio Classique que la CGT quittait la conférence pour organiser, avec les syndicats opposées au projet de loi sur les retraites (FO, Solidaires, FSU, CFE-CGC), "sa vraie conférence de financement".

Côté majorité, on n’hésite pas à mettre la pression en explicitant les enjeux. Les organisations syndicales savent qu'elles "ont collectivement une obligation de résultat", a estimé mercredi un des co-rapporteurs du projet de loi, Jacques Maire (LREM). "Comment est-ce que vous voulez que des acteurs qui n'ont pas réussi cette phase de démarrage puissent ensuite se voir confier les 320 milliards du régime universel ?", a-t-il ajouté lors d'une conférence de presse.

Avec AFP