Condamnée à mort en 2010 pour blasphème, puis refugiée au Canada en 2019, la chrétienne pakistanaise Asia Bibi sort de son silence. Elle témoigne de dix années de maltraitances et de menaces dans "Enfin libre !", paru mercredi.
Elle sort de son silence pour la première fois depuis sa libération. La chrétienne pakistanaise Asia Bibi, aujourd’hui exilée au Canada, raconte le calvaire qu’elle a vécu dans son pays, où elle avait été condamnée à mort en 2010, puis acquittée fin 2018, après une vaste campagne internationale de soutien.
"Mon histoire, vous la connaissez à travers les médias. Mais vous êtes loin de vous représenter mon quotidien, en prison, ou dans ma nouvelle vie", confie celle qui est devenue une icône de la liberté religieuse, sur la quatrième de couverture d'"Enfin libre !" (Éditions du Rocher), paru mercredi en français.
Ce récit exclusif a été reconstitué par la journaliste française Anne-Isabelle Tollet, une ancienne correspondante au Pakistan qui a mené une campagne de soutien en faveur d'Asia Bibi.
#Asiabibi book #Finallyfree! releasing on 29th Jan. Anne-Isabelle Tollet visited her in a secret place and met her.
Quelle joie de voir ce petit bout de femme, vivante et pétillante !
What a joy to see this little bit of woman, lively and sparkling! " @AnnisaTollet pic.twitter.com/Rvq9rlWUpb
Le blasphème est un sujet incendiaire au Pakistan, où de simples accusations suffisent parfois à entraîner des lynchages meurtriers.
Les chrétiens, qui représentent environ 2 % de la population pakistanaise très majoritairement musulmane, souffrent de "toutes sortes de mépris" quand ils ne sont pas purement et simplement éliminés, comme ce couple de chrétiens brûlés vifs dans un village proche de celui d'Asia Bibi, se souvient celle-ci.
Condamnée à mort, la "blasphématrice" est jetée en prison avec, souvent, "les larmes pour seules compagnes de cellule".
Vie en prison
"Une longue chaîne traîne sur le sol crasseux, elle relie ma gorge à la main menottée du gardien qui me tire comme un chien en laisse. Au plus profond de moi, une peur sourde m'entraîne vers la profondeur des ténèbres. Une peur lancinante qui ne me quittera jamais", écrit-elle.
Derrière les barreaux, ils sont nombreux ceux qui veulent exaucer le souhait des codétenues qui hurlent "À mort !" ou "Pendue !" quand Asia Bibi passe dans les couloirs.
Sa compagne de cellule, une musulmane, meurt empoisonnée car jugée "trop gentille" avec la paria. "Si j'étais toi, je ferais attention à ce que je mange...", conseille-t-on à Asia Bibi.
Elle raconte qu'un commando de Taliban réussira même à s'introduire dans sa prison avant d'être capturé non loin de sa cellule.
Dans cette "antichambre de la mort" qu'est sa cellule, Asia Bibi ne trouve de salut que dans les prières adressées à la Sainte-Vierge, chassant les pensées suicidaires et les espoirs déçus.
Vie en exil
Le gouverneur vient lui rendre visite et lui promet de la "sortir de là" : elle apprendra plus tard qu'il a été assassiné. La gardienne s'introduit la nuit dans sa cellule pour la rouer de coups. Le pape Benoît XVI appelle à sa libération : cela intensifie la haine envers les chrétiens au Pakistan et la tête d'Asia Bibi est mise à prix par un mollah.
Elle n'y croira même pas quand, enfin, la Cour suprême l'acquittera. Le 9 mai 2019, un communiqué officiel tombe : "Asia Bibi a quitté le Pakistan de son plein gré" pour le Canada.
Mais c'est un point d'interrogation qui suit l'"Enfin libre" en tête de l'avant-dernier chapitre. Car la menace ne connaît pas les frontières. À l'arrivée d'Asia Bibi, un islamiste diffuse une vidéo sur les réseaux sociaux assurant s'être lui aussi rendu au Canada pour tuer la "blasphématrice". Depuis, elle vit dans un lieu tenu secret.
Avec AFP