
En 1943, Helena Troszczynska a aidé ses parents à recueillir deux cousins qui avaient fui le ghetto de Varsovie. Reconnue comme "juste parmi les nations", elle raconte que sa famille était consciente des risques encourus. Les juifs polonais "avaient peur des Allemands, mais ils avaient surtout peur de leurs voisins polonais", rappelle une historienne du musée Polin, à Varsovie.
Avant la Seconde Guerre mondiale, la Pologne comptait la plus grande communauté juive d'Europe. Environ 90 % d'entre eux sont morts pendant l'occupation allemande. Ces dernières années ont toutefois été marquées par de vifs débats sur la responsabilité des Polonais dans l'Holocauste. Le gouvernement polonais a même tenté de faire passer une loi prévoyant des peines de prison pour quiconque incriminerait l'État ou la nation polonaise pour les crimes nazis. En réalité, certains Polonais ont bel et bien collaboré avec les nazis, et nombre d'entre eux ont tout simplement gardé le silence – souvent par peur ou par indifférence. Mais quelques milliers d'entre eux ont toutefois sauvé des vies, en risquant la leur. Plus de 7 000 Polonais sont aujourd'hui reconnus comme "justes parmi les nations" par le memorial de Yad Vashem.
Nos journalistes Gulliver Cragg et Anne Mailliet ont rencontré Helena Troszczynska, habitante de Varsovie, qui en 1943 a vu les nazis écraser le soulèvement de la capitale polonaire, et deux cousins, rescapés du massacre, apparaître à la porte de la maison familiale. "Mes parents leur ont offert le gîte pour la nuit et ils sont restés", raconte cette Polonaise. À l'époque, la rue est étroite et bordée de petites habitations. Les parents d'Helena ont les clés d'une maison détruite, dont la cave est intacte.
"Isaac Eisenfuss et Jerzy Rudnicki sont restés du printemps 1943 jusqu'à la libération de Varsovie en 1944", se souvient celle qui était alors âgée de 12 ans. Helena leur amenait régulièrement les provisions préparés par sa mère. Isaac, avec qui elle est restée en contact après la guerre, l'a nominée avec sa mère pour le titre de "juste parmi les nations" de l'institut Yad Vashem.
Dans la Pologne occupée par l'Allemagne nazie, aider un Juif était passible de la peine de mort. "Nous savions ce que nous risquions. Mais nous avions été élevés selon trois principes : la vérité, le travail et aimer son voisin. Lorsque quelqu'un est dans le besoin, il faut l'aider, qu'il soit juif ou qu'il ne le soit pas", explique Helena Troszczynska.
Au musée de l'Histoire des juifs polonais, le "Polin" à Varsovie, une coordinatrice de projet, Klara Jackl, rappelle que les juifs polonais "avaient peur des Allemands, mais ils avaient surtout peur de leurs voisins polonais. Car on recevait une récompense lorsque l'on dénonçait quelqu'un qui aidait les juifs. Et puis, aider les juifs était plutôt mal perçu au sein de la société polonaise. Donc ils étaient peu nombreux à le faire et ceux qui l'ont fait sont des héros." La Pologne, explique cette historienne, a encore beaucoup de mal à accepter cette réalité inconfortable.