Des centaines de manifestants protestant contre le pouvoir ont afflué, dimanche, dans le centre de Beyrouth, au lendemain de violences inédites qui ont fait des centaines de blessés, dans un Liban miné par une crise économique aiguë et une paralysie politique.
Des renforts de l'armée et de la police anti-émeute ont été déployés, dimanche 19 janvier, à Beyrouth, où les manifestants ont commencé à se rassembler à l'entrée d'une avenue menant au Parlement libanais, près de la place des Martyrs, épicentre du mouvement de contestation déclenché le 17 octobre contre une classe politique jugée corrompue et incompétente.
En deux jours, plus de 520 personnes ont été blessées dans les violences.
Pour le deuxième soir consécutif, aux cris de "révolution, révolution", des manifestants ont jeté des pierres et des pétards sur un barrage de la police anti-émeute bloquant l'avenue. Les forces de l'ordre ont répliqué avec des balles en caoutchouc, en activant un canon à eau et en tirant des gaz lacrymogènes.
#liban dispersion des manifestants par des gaz lacrymogènes devant le Parlement #لبنان #لبنان_يثور pic.twitter.com/7swS8hmjKl
— Bilal Tarabey (@BilalTarabey) January 19, 2020La Croix-Rouge libanaise a fait état de 145 blessés, dont 45 hospitalisés. Parmi les blessés figurent deux journalistes, selon l'agence de presse officielle ANI. La télévision locale Al-Jadeed a annoncé que son caméraman avait été blessé à la main par une balle en caoutchouc.
En trois mois de contestation, la colère n'a fait que grandir chez les manifestants qui fustigent l'inertie des dirigeants : la crise économique s'aggrave avec licenciements en masse, restrictions bancaires drastiques et une dévaluation de facto de la livre libanaise face au dollar.
#liban les manifestants reviennent vers le parlement. Juste avant ils chantaient "l'armée avec nous au parlement" #لبنان pic.twitter.com/skiBPGZn6h
— Bilal Tarabey (@BilalTarabey) January 19, 2020"Révolutionnaires libres nous allons poursuivre la voie", ont scandé sous la pluie les contestataires, équipés de parapluie et brandissant des drapeaux libanais. "On en a marre des hommes politiques. Après trois mois de révolution, ils nous prouvent qu'ils ne changent pas, qu'ils n'écoutent pas, qu'ils n'apportent rien", s'insurge Mazen, un manifestant âgé de 34 ans.
Samedi, la capitale libanaise a connu un niveau de violence inédit depuis le début de la contestation avec des heurts entre forces de l'ordre et manifestants qui ont fait au moins 377 blessés dans les deux camps, selon des bilans de la Croix-rouge libanaise et de la défense civile compilés par l'AFP.
Des balles en caoutchouc "tirées dans les yeux" ?
Une télévision locale et des internautes ont partagé des témoignages de familles dont les enfants, parfois âgés de 18 ans, ont été touchés à l'œil par des balles en caoutchouc. Les échauffourées avaient eu lieu sur la même avenue où sont rassemblés les manifestants dimanche.
"Il n'y avait aucune justification pour le recours brutal à la force par la police anti-émeutes contre des manifestants largement pacifiques", a estimé Human Rights Watch (HRW).
Accusant les policiers d'avoir "tiré des balles en caoutchouc dans les yeux", Michael Page, directeur adjoint de HRW pour le Moyen-Orient, a appelé les autorités à "mettre fin à cette culture de l'impunité pour les abus policiers".
Sur les réseaux sociaux, une vidéo montre en outre des membres des forces de l'ordre dans une caserne de police de Beyrouth frapper violemment des personnes présentées comme des manifestants à leur descente d'un fourgon. Évoquant cette vidéo, les forces de sécurité intérieure ont annoncé l'ouverture d'une enquête. "Tout agent qui a agressé des détenus sera interpellé", ont-ils annoncé.
Face à cette escalade, le président Michel Aoun a annoncé qu'il convoquerait, lundi, "une réunion de sécurité" en présence des ministres de la Défense et de l'Intérieur, a annoncé l'agence ANI.
Hassan Diab n'a toujours pas formé son gouvernement
Ces derniers jours, les affrontements se sont multipliés entre forces de l'ordre et contestataires qui ont attaqué les vitrines de certaines banques, des établissements cristallisant une grande partie de la colère populaire.
Les manifestants sont furieux contre les dirigeants accusés de nullement se soucier de leurs revendications : un gouvernement d'indépendants et de technocrates alors que la classe dirigeante est quasi inchangée depuis des décennies, une amélioration des services publics quasiment absents – graves pénuries d'eau et d'électricité –, la fin du chômage et de la corruption.
Après la démission fin octobre du Premier ministre Saad Hariri, sous la pression de la rue, Hassan Diab a été désigné pour le remplacer le 19 décembre mais ce dernier n'a toujours pas formé son gouvernement.
"Il y a une voie pour calmer la tempête populaire", a tweeté Saad Hariri. "Assez perdu de temps, formez un gouvernement et ouvrez la porte à des solutions politiques et économiques."
Avec AFP