Plusieurs milliers d’enfants de jihadistes étrangers, dont 200 à 300 Français, sont encore retenus dans des camps tenus par des Kurdes en Syrie. L’ONU demande leur rapatriement immédiat, jugeant "scandaleux" que les pays ne les fassent pas sortir plus rapidement.
Les nuits d’hiver, les températures dans le nord-est de la Syrie peuvent descendre en dessous de zéro. Dans les centres de détention de familles de jihadistes, la pluie inonde les tentes. La pénurie de médicaments et le manque de soins représentent une menace pour la vie des plus jeunes, qui sont les premières victimes. Parmi ces dernières figurent quelque 700 à 750 enfants de jihadistes étrangers, dont des Français, dispersés dans les trois camps de déplacés du Nord-Est syrien.
En 2019, plus de 370 mineurs sont morts dans l’un d’entre eux, le camp d’Al-Hol, notamment "en raison du froid et du manque de moyen de chauffage adéquat", a indiqué une responsable du Croissant-Rouge kurde.
"Les États qui ont des ressortissants dans ces centres de détention savent ce qui se passe à l'intérieur", a dénoncé, jeudi 16 janvier, Paulo Pinheiro, le président de la Commission d'enquête indépendante et internationale (COI) sur la Syrie, créée en 2011 par le Conseil des droits de l'Homme de l’ONU. Il a jugé "scandaleux" que les pays ne fassent pas sortir plus rapidement les enfants de ces "prisons". Les enquêteurs de l'ONU sont montés au créneau, en exhortant les pays concernés, dont la France, à rapatrier ces enfants et leur mère.
Le rapport onusien, publié jeudi, explique que nombre de ces enfants se trouvent en situation "particulièrement précaire" car ils ne disposent pas de document d'identité.
"L’irresponsabilité du gouvernement français"
"Ce nouveau constat va dans le sens des décisions du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) qui ont déjà appelé au rapatriement de ces enfants", souligne l’avocate Marie Dosé, qui défend une vingtaine de familles françaises en attente du rapatriement d’une centaine de mineurs vers l'Hexagone.
Les enfants des familles qu’elle défend sont "malades, ils ont froid et disposent de moins en moins de nourriture à cause des difficultés d'acheminement vers les camps", raconte l’avocate contactée par France 24. "J’informe l’État français chaque semaine de cette catastrophe humanitaire, mais ils ne font rien", déplore-t-elle. Face au silence, elle dénonce "l’irresponsabilité du gouvernement français".
Depuis la chute en mars 2019 du "califat" de l'organisation État islamique (OEI), proclamé cinq ans plus tôt, la communauté internationale est confrontée au casse-tête du rapatriement des familles des jihadistes capturés ou tués en Syrie et en Irak.
Jusqu'ici, Paris considérait que les jihadistes français devaient être jugés dans les endroits où ils ont commis leurs exactions. Elle soutenait le principe d'un jugement en Irak. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a toutefois évoqué, samedi 11 janvier, l’hypothèse d’un rapatriement des jihadistes français détenus par les Kurdes en Syrie. Une position qui a été rapidement démentie par son entourage.
D’après Me Dosé, Paris n’a rapatrié que 17 enfants dont 15 orphelins. "Le dernier rapatriement a eu lieu en juin, il n’y a pas eu un seul rapatriement en France depuis", s’indigne-t-elle. En Syrie, les autorités estiment qu'il reste 200 à 300 enfants de jihadistes français retenus dans la région kurde syrienne.
Plusieurs épouses de jihadistes dans la nature
Une situation alarmante, d'autant plus que, sur place, la situation s’est détériorée avec le lancement, en octobre, d’une offensive terrestre de la Turquie contre les forces kurdes. Le camp d'Aïn Issa, notamment, a été déserté par les gardes kurdes à la mi-octobre, après un bombardement à proximité, permettant la fuite de milliers de familles ou de proches de jihadistes, livrés à eux-mêmes dans le désert.
Sur les dix épouses françaises de membres de l’OEI qui se trouvaient Aïn Issa d’après les informations de l’avocate, quatre accompagnées de sept enfants sont parvenues à s’échapper pour rejoindre la Turquie. Elles ont été expulsées vers la France le 9 décembre et non pas rapatriées. Que sont devenues les six femmes restantes ? "Elles se sont évaporées dans la nature. Peut-être ont-elles été récupérées par l’[organisation] État islamique, rattrapées par des milices syriennes, ou des soldats de Bachar al-Assad pour servir de monnaie d’échange", avance l’avocate, qui espère une réaction des autorités françaises avant qu’un autre épisode de ce genre ne se produise.
Les enquêteurs de l’ONU demandent eux aussi aux pays d'origine de combattants étrangers de rapatrier les enfants, "ainsi que les personnes qui s'occupent d'eux" dès que possible. À cette fin, ils invitent les États concernés à prendre "immédiatement des mesures pour simplifier l'enregistrement de leurs ressortissants nés en Syrie".
Des enfants apatrides
Nés dans des zones anciennement contrôlées par l'opposition syrienne, ces enfants peinent à obtenir leur enregistrement à l'état civil "car les documents fournis par les groupes armés ne sont pas reconnus par les autorités gouvernementales compétentes", détaille le rapport.
"Les États ont des obligations bien définies de protéger les enfants, y compris contre l'apatridie. Ne pas respecter ces principes fondamentaux constituerait une dérogation claire à cette obligation", rappelle Hanny Megally, membre de la Commission d'enquête onusienne dans un communiqué.
Lorsqu'elles sont présentes, "les mères devraient être rapatriées avec leurs enfants pour garantir le respect du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant", ajoute le rapport.
Au total, quelque 12 000 étrangers – 4 000 femmes et 8 000 enfants –, sont installés dans trois camps de déplacés du Nord-Est syrien, la grande majorité dans celui d'Al-Hol, selon des statistiques des autorités kurdes. Les plus de 12 ans se retrouvent quant à eux dans des centres de détention, aux côtés des adultes.
Avec AFP