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Crise en Haïti : "Le maintien de Jovenel Moïse au pouvoir ne tient qu’au soutien de Washington"

Alors qu’Haïti s’enfonce depuis plus d’un an dans la crise, le président Jovenel Moïse s’accroche au pouvoir avec le soutien des États-Unis. La diplomatie américaine pourrait toutefois évoluer sur ce dossier : son ambassadrice à l’ONU a été envoyée sur place, mercredi, pour rencontrer le président et les manifestants.

Une issue à la crise est-elle possible en Haïti ? Depuis plus d'un an, la rue réclame la démission du président Jovenel Moïse, élu en février 2017. La colère initiale contre les pénuries d'essence a évolué en ras-le-bol généralisé contre la hausse continue des prix et les scandales de corruption impliquant l'élite gouvernementale. Tous les secteurs de l'économie et des services publics sont bloqués depuis plus de deux mois, tandis que les manifestations tournent souvent à l'émeute.

De son côté, le président haïtien s’accroche au pouvoir, se mure le plus souvent dans le silence et limite ses apparitions publiques. Dernier exemple en date : la commémoration a minima de la bataille d’indépendance, le 18 novembre, à Port-au-Prince.

Conspué par de nombreux Haïtiens, Jovenel Moïse n'a pas fait le déplacement sur le site historique de la bataille de Vertières, situé à 240 km au nord de la capitale, et a simplement procédé à un dépôt de gerbe de fleurs au musée qui jouxte le palais national, où s'est tenu un défilé militaire. La place du Champ de Mars, où se situent le musée et le palais, a été interdite d'accès au public le temps des cérémonies et un lourd dispositif policier veillait à éviter la moindre intrusion.

Les deux camps semblent incapables de dialoguer. Dans ce contexte, difficile d’imaginer une sortie de crise dans un avenir proche. La donne pourrait toutefois changer si Washington, qui a envoyé sur place, mercredi 20 novembre, son ambassadrice à l’ONU, décidait de mettre la pression sur Jovenel Moïse. Selon le politologue Jacques Nesi, spécialiste d’Haïti et chercheur à l’université des Antilles, contacté par France 24, l’avenir du pays "dépend des États-Unis".

France 24 : Où en est la situation en Haïti ? Une sortie de crise est-elle envisageable ?

Jacques Nesi : La situation est toujours chaotique mais il y a eu quelques développements ces derniers jours. Des efforts ont été engagés par l’opposition qui a pu se réunir et adhérer à une proposition de sortie de crise. Ils réclament la démission du président Moïse, la désignation de son remplaçant par un juge de la Cour de cassation, un Premier ministre issu de la société civile à la tête d’un gouvernement réduit. Les opposants à Jovenel Moïse demandent également une réforme constitutionnelle qui ne figurait pas à leur agenda au début des manifestations il y a plus d’un an. Les Haïtiens veulent un "nouveau système politique" car ils jugent l’actuel pourri, mafieux et corrompu, avec de trop nombreuses collusions d’intérêts entre politiques et acteurs économiques.

Je me suis entretenu avec l’Ambassadeur des États-Unis auprès de l’ONU, Mme Kelly CRAFT, autour des voies et moyens à mettre en œuvre, dans le cadre d’un dialogue inclusif, en vue de parvenir à une résolution consensuelle de la crise politique que connaît le pays. pic.twitter.com/NFxPdsHEuk

— Président Jovenel Moïse (@moisejovenel) November 20, 2019


Maintenant, Washington sait aussi faire preuve de pragmatisme. Un pays totalement bloqué, ce n’est pas bon pour le business. Un président dont le nom est cité dans des affaires de corruption, ce n’est pas bon non plus. La plupart des Haïtiens et des observateurs pensaient que Kelly Dawn Knight Craft viendrait avec une feuille de route pour assurer le maintien de Jovenel Moïse au pouvoir. Ça n’est visiblement pas le cas. Elle a déclaré être venue pour s’informer de la situation et écouter. Est-ce que les choses vont évoluer après sa visite ? Difficile à dire car le problème en Haïti, c’est qu’il n’y a plus d’institution "tampon" susceptible de prendre le relais : la société civile est trop faible, l’opposition n’est pas crédible car elle a exercé des fonctions du temps de Michel Martelly [2011-2016] et de René Préval [2006-2011]. Ce sont d’anciennes figures de l’establishment qui sont aussi responsables de la situation actuelle.

Donc au sein de la communauté internationale, il y a des inquiétudes sur l’après car on ne voit pas qui mettre à la place. Aucun nouveau visage n’a réellement émergé depuis le début de la contestation.

En attendant, Haïti s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise…

Oui car les manifestants continueront de descendre dans la rue tant que Jovenel Moïse continuera de s’accrocher au pouvoir. Aujourd’hui, le pays est paralysé : les manifestants coupent les routes et empêchent les gens de circuler. Il y a une tension latente, tout est fermé, les activités commerciales sont au point mort et les gangs sèment la terreur.

Jovenel Moïse s’accroche au pouvoir grâce à l’appareil répressif et administratif, mais c’est un président qui dispose finalement de très peu de soutiens. Il n’a jamais été en mesure d’organiser la moindre contre-manifestation et même son parti, le Parti haïtien Tèt Kale (PHTK), se montre timide à son endroit. Lui-même ne semble pas vraiment croire au dialogue avec ses opposants : lorsque son ancien Premier ministre Jean-Henry Céant a tenté de discuter avec les manifestants en 2018, il a tout fait pour saboter ses démarches et l’éjecter. C’est un président qui n’est pas à la hauteur des enjeux.