Le président chinois Xi Jinping s’est rendu en Grèce pour signer de nouveaux contrats avec Athènes. Onze ans après l'opération de rachat partiel du port du Pirée, la Grèce reste une pièce stratégique pour Pékin.
Retour aux premières amours. Le président chinois Xi Jinping a entamé, lundi 11 novembre, une visite de trois jours en Grèce, historiquement le premier pays européen dans lequel la Chine a massivement investi. C’était en 2008, bien avant le début officiel des Routes de la soie - ce grand programme d’investissements dans les infrastructures hors de Chine -, et Pékin avait profité du désarroi financier d’Athènes pour acquérir une partie du port du Pirée.
Onze ans plus tard, Xi Jinping est venu célébrer à Athènes "la profonde collaboration entre deux civilisations anciennes" en signant une douzaine de nouveaux contrats. Ils portent sur le contrôle chinois du Pirée, la coopération dans le secteur de l'énergie et encore l’ouverture de filiales de deux banques chinoises en Grèce.
Tapis rouge pour le grand argentier chinois
Le nouveau Premier ministre grec, Kyriákos Mitsotákis lui a déroulé le tapis rouge, se réjouissant de "ce partenariat renouvelé" entre les deux pays. Ce conservateur, qui a accédé au pouvoir après les élections législatives anticipées du 7 juillet 2019, veut faire des investissements étrangers le moteur principal du renouveau économique du pays, rappelle le quotidien britannique The Guardian. À ce titre, il courtise tout particulièrement la Chine : il s’est rendu à Shanghaï la semaine dernière et compte faire un autre déplacement à Pékin en avril 2020.
Il espère que la Chine va continuer sur sa lancée dépensière en Grèce, qui peine à retrouver une croissance économique soutenue. Pékin a déjà investi plus d'un milliard d'euros depuis 2008 en Grèce, selon les estimations. Sans compter les investissements immobiliers fait par les Chinois qui s’élèvent à plus de 500 millions d’euros depuis le début des années 2010, d’après l’Institut grec des relations économiques internationales.
Mais le nouveau gouvernement conservateur aurait tort de tout miser sur Pékin. "La Chine a ralenti le rythme de ses prêts à l’étranger et, surtout, elle n’investit plus à perte comme elle a pu le faire au début du programme des nouvelles Routes de la soie", explique Jean-François Dufour, directeur du cabinet de conseil DCA Chine-Analyse, contacté par France 24.
Pour cet expert, Xi Jinping s’est rendu à Athènes, en partie "pour vérifier si les investissements déjà effectués commencent à rapporter de l’argent". Outre la gestion d’une partie du port du Pirée, la Chine a massivement investi dans les secteurs de l’énergie et, dans une moindre mesure, dans des entreprises grecques de télécommunication.
Rassurer les pays européens
Pékin a aussi atteint son objectif stratégique en Grèce. Le Pirée devait servir de porte d’entrée sur le marché européen pour une partie des produits chinois et, en 10 ans, le géant chinois Cosco - qui gère le port grec - a fait en sorte que près de 10 % des exportations chinoises pour l’Europe passent le Pirée. "C’est devenu le principal hub logistique chinois dans le bassin méditerranéen", souligne Jean-François Dufour.
La Chine a aussi jeté son dévolu sur d’autres pays européens pour étendre la toile de ses nouvelles Routes de la soie. Elle a annoncé, en mars 2019, un renforcement des liens économiques avec l’Italie, a multiplié les investissements au Portugal et dans des pays d’Europe centrale, comme la Hongrie. La Grèce pourrait sembler être de l’histoire ancienne aux yeux de Pékin.
Pour autant Xi Jinping a encore besoin d'Athènes, d’après Jean-François Dufour. "Le président chinois a aussi fait le déplacement pour des raisons politiques : il cherche à rassurer les pays européens à un moment où des États, à commencer par la France et l’Allemagne, adoptent des positions plus prudentes à l’égard de Pékin et à son programme des Routes de la soie", assure cet expert.
La Grèce vitrine de la Chine en Europe
Alors que le conflit commercial avec les États-Unis pèse sur l’économie chinoise, le pays a plus que jamais besoin du marché européen pour vendre ses produits. "Xi Jinping veut prouver que lorsque son pays investit à l’étranger, il assure aussi le suivi", souligne Jean-François Dufour. Des exemples comme le Sri Lanka ont, en effet, pu donner l’impression que les investissements chinois ne servaient que les intérêts de Pékin et pouvaient laisser les pays qui bénéficiaient des prêts dans un état de dépendance économique qui les privait d’une partie de leur souveraineté.
La Grèce doit, à cet égard, servir de "vitrine de ce que la Chine peut apporter à un pays tiers", estime le spécialiste français de l’économie chinoise. Une dynamique qui sert les intérêts du gouvernement de Kyriákos Mitsotákis.
Mais cette démonstration de bonne volonté chinoise représente aussi un risque pour l’unité européenne. En effet, le message de Xi Jinping aux autres pays européens qui pourraient être tentés par les prêts chinois est, en filigrane, "que face aux insuffisances politiques et économiques européennes, il existe une alternative chinoise", décrypte Jean-François Dufour.
L’argent chinois peut aussi fragiliser la cohérence de la politique étrangère européenne. En 2017, une motion européenne à l’Organisation des Nations unies (ONU) pour dénoncer les entorses aux droits de l’Homme en Chine a été bloquée par la Grèce. Athènes n’avait probablement pas agi sur ordre direct de Pékin, mais "la Grèce n’estime certainement plus avoir la même liberté pour critiquer la Chine qu’avant les investissements chinois", résume Jean-François Dufour. Quelles seraient les conséquences si des pays plus influents, comme l’Italie, s’engageaient encore davantage sur la voie de la coopération économique avec la Chine ?