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En Irlande du Nord, l'accord sur le Brexit négocié par Boris Johnson avec l'UE préoccupe. Les unionistes s'inquiètent de la mise en place d'une frontière maritime qui l'isolerait de la Grande-Bretagne et pourrait attiser les désirs de réunification.

C'est le territoire du Royaume-Uni sur lequel échouent toutes les tentatives de Brexit depuis trois ans. Le dernier accord en date arraché par le Premier ministre britannique, Boris Johnson, stipule que l'Irlande du Nord disposera d'un régime douanier et fiscal spécial permettant de maintenir ses échanges avec la République d'Irlande voisine qui, elle, reste dans l'Union européenne (UE). Cependant, le DUP, le parti unioniste au pouvoir en Irlande du Nord, refuse de le voter au Parlement britannique de crainte d'ouvrir une brèche vers une possible réunification des deux Irlande.

Le DUP soutient le Brexit et fait partie de la coalition du gouvernement de Boris Johnson, mais il rejette tout traitement qui donnerait à l'Irlande du Nord un statut différent du reste du Royaume-Uni. Les unionistes redoutent surtout que le plan de Boris Johnson ne débouche sur la création d'une frontière en mer d'Irlande, l'isolant de la Grande-Bretagne.

Sammy Wilson, le député DUP chargé du Brexit au sein de son parti, a estimé dimanche 20 octobre que cet accord allait "causer beaucoup de dégâts à l'Union", en référence au Royaume-Uni. "Nous voulons sortir (de l'UE) comme une seule nation. Cela reste notre objectif."

(4/4) The DUP does not seek a second referendum; merely implementation of the first. The people of the United Kingdom were asked whether the UK should leave the EU, not whether Great Britain should leave Northern Ireland behind. Leaving as one nation remains our goal.

  Sammy Wilson MP (@eastantrimmp) October 20, 2019

"La raison principale avancée par le DUP, c'est l'établissement de contrôles douaniers entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne", explique à France 24 Christophe Gillissen, professeur de civilisation britannique à l'université de Caen et spécialiste de l'Irlande du Nord. "Cela va à l'encontre même des raisons d'être de ces partis unionistes dont la hantise est la réunification de l'Irlande."

Le DUP a l'impression d'avoir été roulé dans la farine par Boris Johnson, estime le professeur : "En 2018, il s'est rendu au congrès du DUP, il avait alors annoncé qu'aucun gouvernement conservateur ne saurait accepter des contrôles douaniers entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord. Il avait été applaudi. Un an après, il a fait tout le contraire. Il y a un sentiment de trahison."

Un interminable feuilleton qui a fait bouger les lignes sur le Brexit…

Depuis l'accord de paix du Vendredi saint, qui a mis fin en 1998 à trois décennies de violences communautaires, la vie politique en Irlande du Nord est traditionnellement structurée en deux camps : les unionistes d'une part, majoritairement protestants, et les nationalistes d'autre part, essentiellement catholiques, qui souhaitent l'intégration de l'Irlande du Nord à la République d'Irlande.

En juin 2016, lors du référendum sur le Brexit, chaque partie avait choisi son camp : les nationalistes s'étaient prononcés pour le "Remain", le maintien dans l'UE, tandis que les unionistes ont défendu le "Leave", la sortie de l'Europe. Le "Remain" l'avait finalement emporté à 56 % dans ce bout de Royaume-Uni.

Depuis, l'interminable feuilleton sur le divorce avec l'Union européenne est passé par là. Les craintes d'un retour à une frontière dure entre les deux Irlande ont fait bouger les lignes en Irlande du nord : "L'opinion publique a évolué de manière notable. Les sondages montrent que le Brexit provoque de fortes inquiétudes en Irlande du Nord et, si le referendum du Brexit avait lieu aujourd'hui, on estime que le 'Remain' l'emporterait à 69 %", explique Christophe Gillissen.

"Les nationalistes sont toujours remontés contre le Brexit et du côté unioniste, on continue d'être attaché à la Grande-Bretagne mais on craint l'impact économique de celui-ci", détaille l'enseignant. "Même le DUP, qui a fait campagne pour le 'Leave', commence à être embarrassé par le Brexit."

… et sur la réunification

Pour le spécialiste de l'Irlande du Nord, le clivage entre unionistes et nationalistes était en perte de vitesse jusqu'au Brexit. Une fraction de la population – de l'ordre de 20 à 30 % –, notamment les jeunes, refusait ces étiquettes traditionnelles et préférait se concentrer sur d'autres problèmes. Mais les débats sur la sortie de l'UE ont fait ressortir les vieux réflexes partisans.

"Les nationalistes avaient appris à se satisfaire des accords de paix de 1998. Le statu quo était acceptable car, même si il n'y avait pas de réunification politique, la frontière avait disparu dans la vie quotidienne. La perspective du retour à une frontière dure avec le Brexit est vue comme une rupture des accords de paix et fait resurgir l'envie d'une réunification", contextualise Christophe Gillissen.

"Du côté unioniste, ils sont également nombreux à voir le Brexit comme une mauvaise affaire. Il y a un très léger mouvement qui tend à accepter la réunification", continue le spécialiste. "Ce mouvement pourrait s'accélérer quand le Brexit sera mis en œuvre et quand ses conséquences économiques se feront ressentir en Irlande du Nord."

Une Irlande unie à moyen ou long terme ?

Combinée au Brexit, une autre donnée pourrait conduire à la réunification de l'Irlande. Dans une étude publiée en mai, Duncan Morrow, de l'université d'Ulster, décrivait une "tendance vers une majorité catholique en Irlande du Nord". La bascule pourrait s'opérer dès 2021.

"Tous ces catholiques n'auront pas tout de suite le droit de vote. Il faudra attendre quelques années que cette majorité démographique se traduise en majorité électorale. De plus, il n'est pas dit que tous les catholiques votent la réunification", nuance Christophe Gillissen. "Cependant, si le Brexit se passait mal, cela pourrait accélérer le processus. La réunification est inévitable, mais plutôt à moyen ou long terme."

L’accord du Vendredi saint a toujours laissé la porte ouverte à une éventuelle réunification de l’Irlande. Si celle-ci était souhaitée par une majorité de la population, le secrétaire d'État britannique pour l'Irlande du Nord peut organiser un référendum. Mais ni Londres, ni Belfast, ni Dublin ne souhaitent s'engager là-dedans à court terme.

"Avant de réaliser un référendum aussi important que celui-là, il faut absolument se préparer, et aborder toutes les inquiétudes des gens, de chaque côté de l’île. Si nous ne faisons pas ce travail de préparation, qui est énorme, alors ce sera le chaos, comme c’est le cas avec le Brexit, qui n’a pas été préparé", expliquait samedi à la RTBF Mark Daly, sénateur irlandais gérant la question du Brexit. Pour l’instant, ce travail de préparation n’a pas encore été réalisé, ce que le sénateur considère comme une "négligence politique". "Il est donc assez évident qu’un référendum ne se fera pas avant plusieurs années. Notre île est occupée par les Britanniques depuis 850 ans. On peut donc prendre quelques années de plus pour aborder toutes les inquiétudes et avoir une vision de ce que serait l’Irlande pour les 100 prochaines années, parce qu’on ne veut pas que cela ressemble à ce qui s’est produit dans le passé."

"Ce référendum est à l'initiative du gouvernement britannique, qui n'a aucune envie de s'engager là-dedans au vu de sa situation actuelle", complète Christophe Gillissen, qui conclut : "La réunification n'aura lieu qu'une fois le Brexit définitivement réglé."