envoyé spécial à Tunis – Rue de Marseille, en plein centre de Tunis, il n'y avait pas foule, dimanche matin, pour élire les députés. Le taux de participation à 14 h 30 s'élevait à 23,5 %. Le premier tour de la présidentielle avait enregistré une abstention record de 55 %.
La fête démocratique est finie. En cette matinée électorale, dimanche 6 octobre, l'effervescence et l'impatience qui avaient caractérisé le premier tour de la présidentielle ont laissé place au désintérêt. Le centre de vote de la rue de Marseille, l'un des plus grands de Tunis, est désert. Les élections législatives ne passionnent pas les Tunisiens.
Votants, assesseurs, observateurs internationaux… Tous estiment que l'heure matinale est la vraie raison de la désertion du bureau de vote. "Les Tunisiens ne sont pas des lève-tôt. Ils viendront cet après-midi", répètent-ils. Humour ou méthode Coué ? À 14 h 30 (heure locale), le taux de participation s'élevait à 23,5 %, selon les données de l'Isie, l'instance chargée de l'organisation des élections. Une mobilisation bien plus faible qu'à la même heure lors des dernières législatives en 2014 (25 %).
الانتخابات التشريعية 2019 ????????????
نسبة الإقبال على التصويت بالداخل إلى غاية اليوم الأحد 6 أكتوبر 2019 على الساعة 14:30#ISIE #تونس #Tunisie #Tunisia #TnElection #TnElec #TnElec2019 #TnElec2019 #الانتخابات_التشريعية #الانتخابات_التونسية #TunisiaDecides pic.twitter.com/5AiyYC4Erv
Trois semaines plus tôt, lors de la présidentielle, la participation s'était établie à 7,3 %. La file d'attente s'étirait sur près de 200 mètres avant l'ouverture des bureaux. Ce dimanche, elle est réduite à une vingtaine de personnes venues expédier la corvée électorale avant de vaquer à leurs occupations dominicales.
Pourtant, le scrutin revêt une importance capitale pour la Tunisie. Régime parlementaire depuis la révolution de 2011, la coalition majoritaire à l'Assemblée des représentants du peuple accèdera au gouvernement. Ce dernier dispose de plus de pouvoirs que le président, cantonné aux relations diplomatiques.
Plus de 15 000 candidats, répartis sur 1 500 listes, se disputent 217 sièges, dans un Parlement jusque-là dominé par le parti d'obédience islamiste Ennahdha. Une profusion de candidatures qui a laissé dubitatif les Tunisiens
Fayçal Zuary fait partie des rares électeurs à avoir fait le déplacement ce matin. Il est venu pour tenter de dissiper le flou dans lequel semble englué les Tunisiens :
"Je vais voter utile", affirme le retraité qui veut confirmer les résultats de la présidentielle et voter pour les partis soutenant l'un des finalistes, le constitutionnaliste indépendant Kaïs Saïed ou le magnat des médias Nabil Karoui, actuellement en détention provisoire pour fraude fiscale.
Un citoyen tunisien: « j’ai voté utile car l’avenir de la #Tunisie est flou » pic.twitter.com/41r4wSvjIc
Tahar Hani (@taharhani) October 6, 2019Parmi les rares votants, beaucoup de têtes grises. Des personnes âgées qui s'étaient déjà déplacées en nombre trois semaines plus tôt. Au point que dans son édition du matin, le journal LeTemps s'interroge. " Un dragon qui dort au tournant des élections : et si les retraités en décident autrement ?"
« Les électeurs seront-ils au rendez vous ? » « une chance historique » « l’élection de tous les enjeux » « Parlement aujourd’hui, pas demain »
Les titres de la Presse ce matin pic.twitter.com/qyptVjji0H
Une impression confirmée par Abdelaziz Bahri, le président du centre de vote, qui s'affaire entre les différents bureaux pour s'assurer que l'électeur soit bien orienté, que le scrutin se déroule bien et que les observateurs internationaux, venus en nombre, soient bien accueillis. "Il y a un peu moins de monde et pas beaucoup de jeunes. Ils viendront plus tard", espère-t-il.
Des législatives éclipsées par la présidentielle
Parmi la multitude de retraités, Lilya, 20 ans, dénote. Cette étudiante en ingénierie est venue voter avec sa mère pour "changer la Tunisie".
"Je pense qu'on peut faire mieux. On a les ressources humaines et naturelles pour s'en sortir", estime-t-elle. Grand sourire aux lèvres à l'occasion de ces législatives, elle veut croire que ses candidats pourront résoudre les problèmes économiques et sociaux que traversent la Tunisie : chômage de masse, inflation, cherté de la vie… Son optimisme tranche radicalement avec le désespoir de beaucoup de jeunes Tunisiens.
"Je pense que la présidentielle a éclipsé les législatives dans la tête des gens", déplore-t-elle, le doigt encore tâché de l'encre du bureau de vote.
Le décès du président Essebsi avant le terme de son mandat en juillet dernier a en effet avancé l'organisation de la présidentielle. Le premier tour de cette dernière s'est ainsi déroulé – fait inédit dans l'histoire de la jeune démocratie tunisienne – avant les législatives, scrutin "coincé" entre les deux tours.
Yahah Ajloumi, un observateur jordanien, estime que cette inversion du calendrier électoral a pu jouer sur le désintérêt exprimé par les Tunisiens.
"Le fait que les législatives aient lieu entre les deux tours de la présidentielle explique sans doute cette défection alors même que cette élection est la plus importante", explique-t-il, vêtu d'un gilet jaune des observateurs internationaux. "On ne peut pas exclure qu'avec la situation de Nabil Karoui, toujours en prison, les Tunisiens aient décidé de boycotter cette élection."