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L'incendie à Rouen éteint, les inquiétudes demeurent

Une usine de Rouen, classée Seveso, a brûlé jeudi 26 septembre, sans faire de victime. Le feu a été éteint et les habitants les plus proches du site devaient regagner leur domicile dans la soirée, selon les autorités.

Un spectaculaire incendie, qui n'a pas fait de victime, dans l'usine Lubrizol de Rouen est désormais éteint, a indiqué, vendredi 27 septembre, Benoît Lemaire, le directeur de cabinet du préfet de Normandie. Les habitants les plus proches du site pouvaient regagner dès jeudi soir leur domicile, ont précisé les autorités. Ce site, qui fabrique des additifs pour enrichir huiles, carburants et peintures est classé Seveso seuil haut, c'est-à-dire qu'il fait l'objet d'une surveillance accrue en raison de la présence de substances dangereuses.

Selon le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, qui s'est rendu jeudi à proximité, l'incendie est "cantonné" et "ne devrait pas se développer de nouveau". Les établissements scolaires des 12 communes concernées et d'une partie de Rouen resteront fermées vendredi et "rouvrent lundi", a indiqué à la presse le préfet de Normandie, Pierre-André Durand. Par ailleurs, "il est toujours conseillé aux personnes fragiles de ces communes de rester chez elles jusqu'à vendredi soir", a-t-il ajouté.

Nausées et vomissements

Odeur "très entêtante" entraînant parfois des vomissements, galettes d'hydrocarbures sur la Seine, désarroi des agriculteurs... L'incendie, bien qu'éteint, continue d'inquiéter. Le bâtiment de France 3 à Rouen a été évacué vendredi en fin de matinée, des salariés ayant été "victimes de nausées et de vomissements", a expliqué le journaliste Laurent Marvyle à l'antenne de France 3 Caen.

Un peu plus loin dans Rouen, un agent des services municipaux de nettoyage effectuait son travail habituel équipé d'une combinaison blanche, d'un masque de papier et de gants, selon un correspondant de l'AFP.

La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, s'est rendue sur place en compagnie de la ministre de la Transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne. Sur Twitter, cette dernière a assuré que "toutes les mesures de précaution et de contrôle nécessaires sont prises", et que "tous les résultats d'analyse seront rendus publics".

À Rouen avec @agnesbuzyn pour faire le point sur place avec les services de l’Etat. 2 mots d’ordre :
➡️ Exigence : toutes les mesures de précaution et de contrôle nécessaires sont prises.
➡️ Transparence : tous les resultats d’analyse seront rendus publics. #Lubrizol pic.twitter.com/IVxw9mrv5U

  Elisabeth BORNE (@Elisabeth_Borne) September 27, 2019

Toxicité à long terme ?

"L'inquiétude est absolument légitime", estime Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche honoraire à l'Inserm. Cette dernière craint, elle, la toxicité à long terme du panache de fumée qui a mesuré jusqu'à 22 km de long. "Ce nuage qui est passé au-dessus de Rouen est chargé en poussière hautement toxique au minimum cancérogène", déclare cette scientifique spécialisée dans les cancers professionnels.

"Le préfet ne ment pas quand il dit qu'il n'y a pas de toxicité aigüe du nuage, mais il ne peut écarter la toxicité à long terme", ajoute Annie Thébaud-Mony, soulignant que le risque cancérogène existe même pour une exposition de courte durée.

Le ministre de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer, a assuré que "lundi matin, tous les nettoyages auront eu lieu dans les écoles, collèges et lycées qui ont été fermés". "Seules trois écoles sont concernées par la suie", a expliqué le préfet de Seine-Maritime, Pierre-André Durand.

À Rouen, au sein de la cellule de crise de l’éducation nationale avec le Préfet, la Rectrice & les élus pour le point sur la situation et les mesures de précaution et de prévention.

Les écoles & établissements qui ont été fermés rouvriront lundi après nettoyage complet des suies pic.twitter.com/Nrxbkb7Joy

  Jean-Michel Blanquer (@jmblanquer) September 27, 2019

L'odeur "très entêtante peut effectivement donner des maux de tête voire aller jusqu'à des vomissements mais elle n'est pas synonyme de situation toxique", a expliqué Benoît Jardel, médecin du Samu, lors d'une conférence de presse à la préfecture retransmise par le journal Paris Normandie.

"Le mercaptan, puisqu'il s'en est dégagé, est un gaz qui, dès une très très faible concentration, provoque des réactions de l'organisme mais il faudrait des concentrations très importantes pour avoir des choses à long terme", a-t-il ajouté.

"Aucun risque" pour l'eau potable

Les transports en commun de l'agglomération ont été arrêtés "progressivement" jeudi après-midi et devraient reprendre normalement vendredi matin, une mesure "pas justifiée", selon le préfet. Le plan Polmar a été déployé pour écarter une pollution de la Seine qui n'a pas été observée pour le moment, a déclaré le représentant de l'État. Il n'y a "aucun risque" pour l'eau potable car il n'y a pas de captage dans le secteur, a-t-il précisé.

La partie affectée par l'incendie représente "environ 10 % du site Lubrizol", soit "1,1 hectare sur 14", a indiqué en soirée le préfet à l'AFP. Créée en 1954 sur les bords de Seine, l'usine Lubrizol, où travaillent environ 400 employés, appartient au groupe de chimie américain Lubrizol Corporation, lui-même propriété de Berkshire Hathaway, la holding du milliardaire américain Warren Buffett.

"Lubrizol est le plus important accident industriel en France depuis AZF (à Toulouse en 2001, ndlr). La gestion du drame que vit notre métropole de Rouen est scandaleuse et humiliante", a twitté David Cormand, secrétaire national d'EELV.

#Lubrizol est le + important accident industriel en France depuis #AZF . La gestion du drame que vit notre métropole de #Rouen est scandaleuse et humiliante. Nous voulons des informations précises et régulières. Le « Circulez il n’y a rien à voir » des autorités est inacceptable. https://t.co/FXthygpqrf

  David Cormand???? (@DavidCormand) September 27, 2019

Pour la ministre de la Santé, "la ville est clairement polluée" par les suies, qu'il ne faut pas toucher sans protection. "Ce sont des suies, comme une pollution, comme des galettes par exemple de goudrons sur les plages", a expliqué Agnès Buzyn. La ministre a alors appelé les riverains souhaitant nettoyer ces suies à "prendre des précautions notamment en mettant des gants".

L'association écologiste Robin des bois, elle, voit dans les suies un "problème diffus mais majeur". Elle redoute "des eaux polluées qui vont aboutir ou bien dans la Seine, ou bien dans la station d'épuration", selon son porte-parole, Jacky Bonnemains.

Son association réclame que "des usines comme Lubrizol soient beaucoup plus surveillées". Une demande partagée par la CGT. Le syndicat Solidaires des inspecteurs de l'environnement affirme que l'État n'a pas tenu ses promesses de créations de postes.

Des habitants de Petit-Quevilly, à quelques dizaines de mètres seulement du site industriel, demandent, eux, l'arrêt de l'usine Lubrizol.

Une usine "parfaitement à niveau"

Concernant cette usine chimique, la CGT a demandé dans un communiqué la "transparence complète sur les risques encourus" après l'incendie, s'inquiétant du niveau de sécurité dans cette entreprise où un grave incident s'était déjà produit en 2013. Sur le dernier point, le préfet a affirmé que cette usine "est aux normes telle que nous l'avons vue en 2019", "parfaitement à niveau". Il a cependant reconnu qu'"elle ne l'a pas toujours été" et qu'en 2017, "elle a fait l'objet d'une mise en demeure" en raison de "17 manquements" puis "la mise à niveau a été réalisée", a-t-il assuré.

Dans un communiqué, Lubrizol a précisé que "l'incendie a touché un entrepôt, une installation d'enfutage et un bâtiment administratif". Au total, 200 pompiers ont pris part aux opérations, un dispositif "allégé pendant la nuit". L'incendie a été "maîtrisé depuis [jeudi] 11 h", mais "pas éteint", a déclaré lors du point-presse le colonel des pompiers Jean-Yves Lagalle, soulignant qu'"il y a énormément de points chauds".

Des analyses complémentaires

"Dans les jours à venir, il y aura un travail pas forcément d'extinction, mais de surveillance" de ces points chauds, en raison notamment de la présence de produits inflammables, a ajouté le colonel des pompiers.

"Le site est très vaste et il doit être visité de manière très méticuleuse, y compris les égouts", a complété en soirée le préfet de Normandie. "Ça peut donner lieu à l'émanation d'odeurs, ressemblant à du gaz, suite à l'extinction d'un incendie de cette ampleur". Dans ce cas, il ne faut "pas être surpris", a-t-il souligné, précisant que les analyses menées jusqu'à présent n'avaient rien relevé d'anormal.

Pierre-André Durand a aussi indiqué que les suies tombées sur la ville et ses environs du fait du panache de fumée allaient "donner lieu à des analyses complémentaires".

Une odeur jusqu'en Picardie

Un impressionnant panache de fumée, de 22 km de long et six de large, a survolé la région une bonne partie de la journée. En plus des établissements scolaires ou accueillant du public, de nombreux restaurants et commerces de Rouen étaient fermés jeudi, a constaté une journaliste de l'AFP.

L'odeur de la pollution se faisait sentir jusque dans le Nord et en Picardie, selon les préfectures. Une enquête pour déterminer l'origine de l'incendie, pour l'heure "inconnue", a été ouverte par le parquet de Rouen qui a débuté "les investigations dès ce jour". En janvier 2013, après une fuite de gaz malodorant, Lubrizol France avait été condamné à une amende de 4 000 euros en 2014.

Avec AFP