Avocats, pilotes et plusieurs autres professions libérales ont manifesté à Paris, lundi. Ils sont opposés à la réforme des retraites qu'entend mener le gouvernement, s'inquiètent de l'avenir de leur métier et dénoncent des préconisations "injustes".
Après les transports franciliens vendredi, la quasi-totalité des tribunaux français ont sonné creux, lundi 16 septembre. Des milliers d'avocats de plusieurs barreaux dans tout l'Hexagone se sont en effet donné rendez-vous à Paris, place de l'Opéra – noire de monde, et pas seulement à cause du cortège de toges –, pour manifester jusqu'à Nation contre le nouveau système de retraites voulu par le gouvernement. Ils étaient accompagnés de professionnels libéraux du soin (médecins, orthophonistes, kinésithérapeutes…) et du transport aérien (pilotes, hôtesses et stewards).
Tous ont défilé ensemble pour "dénoncer le projet de captation sans sommation de leurs régimes autonomes de retraite", comme l'a expliqué le collectif SOS Retraites – composé de 14 professions libérales – dans une tribune au Journal du Dimanche. Le futur "système universel" à points doit en effet fondre les régimes autonomes dans le régime général, chaque "euro cotisé" devant donner "les mêmes droits à tous", a expliqué en juillet le haut-commissaire aux Retraites, Jean-Paul Delevoye. Conséquence, les stocks dont la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) dispose sont notamment en jeu, à savoir les 22 milliards d'euros cotisés mis de côté par les professionnels libéraux.
"Sous prétexte de réforme, on veut nous piquer notre cagnotte [les 2 milliards d'euros de réserves financières de la caisse nationale des barreaux, différente de la CNAVPL, NDLR] et multiplier par deux nos cotisations", explique André, avocat au barreau de Paris, interrogé par France 24. Dans le métier depuis 47 ans, il s'inquiète que cette réforme puisse voir le jour car, dans cette perspective, "des tas d'avocats vont devoir changer de métier".
Nombre de ses confrères et consœurs rencontrés place de l'Opéra partagent ses inquiétudes, comme Caroline, venue de Marseille pour manifester. "On veut mettre fin à notre régime autonome et nous inclure dans le régime général, or on va perdre sur les deux tableaux", explique cette avocate, qui exerce depuis 2001. "Avec cette réforme, nos cotisations vont être multipliées par deux et notre retraite de base sera baissée."
"Si cette réforme passe demain, je ferme mon cabinet"
Dans la foule, les robes noires du palais se mélangent aux costumes des pilotes et aux blouses blanches des professionnels du soin libéraux. Les sifflets se font entendre, les sirènes de mégaphones aussi. Une femme tient fièrement à bout de bras une pancarte sur laquelle on peut lire : "J'ai cotisé, provisionné toute ma vie. Non au racket de ma retraite."
La fin des régimes autonomes, propres à chaque profession présente à la manifestation, est une inquiétude qui revient dans la majorité des cas. Grégoire Aplincourt, président du Syndicat des pilotes d'Air France (SPAF), dénonce dans les intentions du gouvernement "un mélange des genres qui va faire capoter la réforme des retraites". "Les complémentaires retraite, explique ce pilote de ligne depuis 20 ans, ce sont des assurances pour lesquelles on est prélevé chaque mois, cela n'a rien à voir avec les retraites. Ce qui est proposé, cela s'appelle le kolkhoze : on met les économies de tous les fonds autonomes en commun dans le même panier."
Le futur "système universel", préconisé par le haut-commissaire aux Retraites Jean-Paul Delevoye, reviendrait à "ce qu'on perde 20 à 40 % de nos retraites", estime Grégoire Aplincourt. Marie, une orthophoniste rencontrée dans le cortège, s'inquiète aussi pour l'augmentation de ses cotisations, mais surtout pour l'avenir de sa profession. "Si cette réforme passe demain, je ferme mon cabinet", explique celle qui exerce son métier depuis 14 ans. "On est actuellement à 14 % de cotisations et on veut nous faire passer à 28 %, mais cela va multiplier par quatre nos cotisations actuelles. Donc on ne pourra pas tenir financièrement et on ne pourra pas non plus augmenter nos tarifs [réglementés par la Caisse primaire d'assurance maladie, NDLR]."
Marie craint par-dessus tout qu'à plus long terme, elle doive se déconventionner, c'est-à-dire fixer librement les honoraires qu'elle facture à sa clientèle. "Cela voudrait dire au final des soins à deux vitesses, et en priorité pour ceux qui pourraient se le permettre", explique-t-elle.
"On va vers un énorme conflit social si rien ne change"
Les avocats, quant à eux, craignent que les justiciables les plus défavorisés pâtissent de la réforme préconisée par l'exécutif. "Cette réforme se veut plus juste mais va créer de plus grosses disparités", affirme Caroline, l'avocate marseillaise. "Cela va poser un problème d'accès au droit pour les plus pauvres, car l'activité des avocats qui les défendent va être menacée. Les cabinets individuels à moins de 40 000 euros par an vont être fortement touchés, et c'est la plupart des avocats dans ce cas. On n'est pas des nantis contrairement à ce qu'on peut penser."
Nanti. Le mot revient aussi dans la bouche d'un médecin libéral. "Notre profession est très remontée, mais là, le gouvernement va nous faire passer pour des nantis auprès des autres Français alors qu'on travaille beaucoup par ailleurs", explique François Honorat, membre du syndicat Le Bloc. Anesthésiste depuis 1985, ilne veut pas qu'on touche aux fonds de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (une section professionnelle de la CNAVPL) qui a 7 milliards d'euros en réserve. Selon lui, "cette réforme est complètement injuste. C'est le principe de la cigale et de la fourmi : le gouvernement veut détourner le fruit de nos économies vers les caisses qui n'ont pas de fonds propres."
Le haut-commissaire aux Retraites, Jean-Paul Delevoye, a affirmé le 12 septembre vouloir "essayer de lever les inquiétudes injustifiées", parlant de "solutions pour chacune des professions (concernées par la future réforme)". Ces discussions sont attendues par plusieurs manifestants, comme Marie, l'orthophoniste, qui souhaite que "le gouvernement prenne conscience de l'absurdité de cette loi ; chaque métier a ses spécificités propres".
Le ton des personnes croisées place de l'Opéra se veut aussi parfois plus ferme. "En l'état (des annonces gouvernementales), on va vers un énorme conflit social si rien ne change", estime Grégoire Aplincourt, du Syndicat des pilotes d'Air France. L'avocate Caroline se dit quant à elle "sceptique" sur les discussions à venir, rappelant que cela avait été "un échec" pour la réforme de la justice. Et elle ajoute : "Quand on nous parle de négociations et de concertation avec le gouvernement, nous n'avons pas confiance."