Fervent défenseur du standard japonais de télévision numérique, le Brésil s'applique à convaincre ses voisins, l'Argentine et le Venezuela en tête, d'abandonner le modèle américain jusque-là hégémonique.
Moins médiatiques que l’éventuelle acquisition d’avions de chasse à la France ou que les accords de coopération énergétique, les normes technologiques qui serviront à lancer la télévision numérique dans l’ensemble des pays d’Amérique latine restent, aux yeux du gouvernement brésilien, un enjeu majeur.
Vendredi à Caracas, des responsables brésiliens ont rencontré leurs homologues vénézuéliens afin de les convaincre d’adopter le modèle de télévision numérique ISDB-Tb élaboré entre le Japon et le Brésil.
Partout dans le monde, les pays adoptent la télévision numérique - la TNT en France - car elle donne accès à davantage de chaînes, portées par un flux de données plus léger. En Amérique latine, une compétition cordiale mais intense s'est engagée entre le standard ISDB-Tb (qui repose sur la version initiale ISDB-T japonaise) et les standards européens et nord-américains DVB et ATSC.
La signature d'un accord avec le Venezuela serait une victoire pour le Brésil. En incitant le reste du continent à adopter ce standard, Brasilia espère générer des millions de dollars grâce à la vente de téléviseurs compatibles et la mise en place de systèmes de diffusion adaptés.
Selon John S. Eggerton, correspondant à Washington du magazine "Broadcasting & Cable", l'implantation de ces standards numériques dans la sous-région serait lourde de conséquences. "La diffusion en numérique ne représente qu'un aspect de la question, explique-t-il à FRANCE 24. Le véritable enjeu, c'est le numérique dans son ensemble. C'est la valeur du nouveau monde."
Le déclin de l’influence américaine
La valeur de la technologie américaine, qui a subi de plein fouet la dépréciation du dollar, n'a plus le pouvoir d'attraction qu'elle exerçait autrefois en Amérique latine.
En 1998, l'Argentine avait choisi le standard ATSC sans jamais l'implanter dans les faits. La présidente, Cristina Kirchner, est revenue sur cette décision après intervention du Brésil en faveur du modèle japonais.
De nouveaux accords ont été signés en août dernier avec Tokyo et Brasilia afin d'adopter ISDB-Tb, soulignant la convergence d'intérêts de plus en plus marquée entre les différents gouvernements de gauche du continent et le déclin de l'influence américaine sur ses voisins du Sud.
Avec le Brésil, le standard ISDB a trouvé un acheteur, mais surtout un fervent promoteur. Le Pérou a également signé l'adoption de la technologie ISDB-Tb. Seuls la Colombie et l'Uruguay continuent d'utiliser le standard européen alors que le Mexique reste fidèle au modèle américain de télévision numérique.
Brasilia affirme qu'un alignement régional faciliterait la production des équipements de réception requis. Le pays maintient que le modèle japonais - moins cher - augmenterait le nombre de téléspectateurs, et aiderait les pays à construire leurs futurs réseaux de diffusion.
L'alignement technologique de Caracas sur son voisin est déjà scellé, à en croire la presse des deux pays pour qui la signature du contrat n’est qu’une formalité. L'industrie de diffusion des contenus fait maintenant les yeux doux au Chili, prochain pays dans la région à décider de son standard pour la télévision numérique. D'après Ricardo Paganini, directeur régional des ventes de Radio Frequency Systems, fabriquant de technologies sans fil, il est probable que le Chili, ainsi que les autres pays indécis du continent, emboîtent le pas aux deux poids lourds économiques du sous-continent.
"Nos clients chiliens veulent investir dans les nouvelles structures de diffusion, mais ils ne pourront pas le faire tant que le standard n'est pas défini, explique-t-il. Ils soutiennent cette norme ISDB-Tb, et semblent croire à l'imminence d'une décision politique dans ce sens."
Si Ricardo Paganini voit juste, le standard japonais de télévision numérique sera bientôt couronné roi de la diffusion de contenus en Amérique latine, favorisant du même coup l'essor de la coopération régionale.