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Human Rights Watch accuse Damas de manipuler l'aide humanitaire internationale

Plusieurs ONG accusent le gouvernement syrien de manipuler à des fins politiques l’aide humanitaire et les fonds pour la reconstruction. Des sommes colossales qui auraient contribué à maintenir le régime au pouvoir.

Plusieurs rapports accusent le gouvernement syrien de manipuler à des fins politiques l’aide humanitaire et les fonds destinés à la reconstruction du pays. En se basant sur des témoignages de membres d’organisations humanitaires internationales et agences des Nations unies présentes en Syrie ainsi que de civils syriens, Human Rights Watch et le think tank britannique Chatham House affirment, dans deux enquêtes indépendantes publiées respectivement en juin et juillet, que les aides internationales sont détournées par le régime pour réprimer ses opposants et récompenser ses soutiens.

Ces informations ont été corroborées par des documents internes au régime rendus publics, début août, par l’organisation humanitaire Syrian Justice and Accountability Center. Pour en savoir plus, France 24 a interviewé Sara Kayyali, chercheuse spécialiste de la Syrie à Human Rights Watch, à l’origine du premier rapport.

France 24 : Human Rights Watch dénonce une politique du régime syrien et un cadre juridique visant à s'approprier l’aide humanitaire, de quoi s’agit-il ?

Sara Kayyali : Le gouvernement syrien utilise la législation pour restreindre l’aide humanitaire destinée à ses opposants. Il utilise l’argument sécuritaire pour refuser les demandes ou ne répond pas du tout lorsque la demande ne lui convient pas. Le simple fait de proposer un projet humanitaire qui déplaît peut suffire à se faire totalement évincer. Il empêche l’accès du pays aux projets qui dérangent en bloquant l’attribution des visas.

Enfin, le gouvernement établit une liste de partenaires locaux avec lesquels les organisations internationales ont le droit de travailler. Les deux principaux, le Syria Trust for Development et le Croissant-Rouge arabe syrien, sont bien sûr très favorables au régime. Ces organismes locaux ne sont pas seulement "validés" en amont, ils sont contrôlés et encadrés sur le terrain.

Comment le gouvernement s’y prend-il pour manipuler les fonds ?

Il influence le choix des entreprises choisies par les ONG pour réaliser les travaux de reconstruction et sélectionne les projets humanitaires en fonction de ses intérêts et non des besoins réels. Le régime va, par exemple, donner une liste d’écoles à réhabiliter à une ONG. Lorsque l’organisation se rend compte qu’elles se trouvent toutes dans des zones loyales au gouvernement, elle va demander l’autorisation de faire une évaluation des besoins sur le terrain, or ce type de requête est systématiquement refusé. Le contrôle exercé sur les organisations humanitaires est total, même dans les régions favorables au pouvoir. Il s’agit à la fois d’une politique de collusion gouvernementale et de manipulation de fonds à des fins politiques. Nous sommes bien au-delà d’une affaire de corruption.

Ce système a-t-il permis à Bashar al-Assad de se maintenir au pouvoir ?

Il est difficile d’affirmer que c’est la raison principale car il y a une pluralité de facteurs, mais cette utilisation de l’aide humanitaire et de l’argent destiné à la reconstruction a clairement aidé le régime à perdurer. Le gouvernement utilise cet argent comme une arme pour conserver le contrôle. Il s’agit de sommes colossales : 3,6 milliards de dollars ont déjà été versés en 2019 ; les États-Unis ont contribué à hauteur de 6 milliards de dollars depuis le début de la guerre…

Les besoins sur place sont énormes : des millions de Syriens dépendent de l’aide étrangère et deux tiers des infrastructures du pays ont été détruites. La priorité des ONG est d’acheminer l’aide quoi qu’il en coûte. Mais à travers ce système de régulations drastique et opaque, les dirigeants manipulent l’aide humanitaire pour favoriser leurs intérêts et accroissent les inégalités.

Comment réagissent les organisations humanitaires et que peuvent-elles faire ?

Certaines organisations se sont complètement retirées ou ont fermé des champs d’opérations à cause des restrictions. D’autres continuent et affirment que les choses s’améliorent, qu’il vaut mieux agir même si leur action est limitée. Mais elles se voilent la face. Devant l’ampleur du problème, cela n’a aucun sens de faire autant de compromis. Certaines vont jusqu’à s’autocensurer en passant sous silence les violations des droits de l’Homme dont elles sont témoins pour continuer à travailler, ce qui conforte la politique de répression du gouvernement.

Avec l'apaisement sur le terrain, les possibilités d’action pour les organisations humanitaires grandissent. Mais parallèlement, le régime reprend le contrôle du territoire et verrouille encore plus les demandes. Pourtant, la négociation reste possible car les sommes en jeu sont énormes. De plus, à terme, le gouvernement syrien a tout intérêt à normaliser la situation et obtenir la levée des sanctions. Il en va de même pour son principal soutien, la Russie, qui veut être perçue comme un acteur crédible. Les organisations humanitaires ne doivent pas baisser les bras et doivent exiger la transparence.