
Dans un contexte de tensions dans la région, les Émirats arabes unis ont commencé, début juillet, à réduire leur présence militaire au Yémen, où ils sont présents au sein de la coalition anti-houthis conduite par Riyad depuis 2015. Décryptage.
Les Émirats arabes unis (EAU), pilier de la coalition arabe anti-houthis dirigée par l’Arabie saoudite, ont commencé à désengager leurs troupes du Yémen, où elles appuient les forces gouvernementales dans la guerre contre les rebelles chiites, proches de l’Iran.
Abou Dhabi a indiqué que le moment était venu de permettre de passer d'une logique "militaire", en cours depuis 2015, à une "stratégie de paix prioritaire" dans ce pays dévasté depuis 4 ans par la guerre. Un conflit qui se poursuit, et qui a fait des dizaines de milliers de morts, dont de nombreux civils, selon diverses ONG, et provoqué la pire catastrophe humanitaire au monde, d'après l'ONU .
"Nous avons un certain nombre de troupes qui sont réduites pour des raisons stratégiques à Hodeïda et pour des raisons tactiques" dans d'autres parties du Yémen, a confié à des journalistes un haut responsable émirati sous couvert de l'anonymat, lundi 8 juillet. "Cela a à voir essentiellement avec le fait de passer d'une stratégie militaire prioritaire à une stratégie de paix prioritaire", a-t-il précisé.
Faut-il comprendre que les Émirats sont en train de prendre leur distance avec la coalition et un conflit interminable et impopulaire en Occident en raison des nombreuses pertes civiles ? Le responsable émirati a assuré que l'engagement de son pays auprès du gouvernement yéménite et de son allié saoudien pour combattre les houthis restait intact. Même élément de langage du côté du porte-parole de la coalition, Turki al-Maliki, qui a affirmé que les Émirats et leurs alliés étaient déterminés à "poursuivre leurs opérations et parvenir à leurs objectifs stratégiques" au Yémen.
Malgré d’intenses bombardements aériens de la coalition, les rebelles houthis, qui contrôlent toujours de vastes zones de l'ouest et du nord du pays, dont la capitale Sanaa, ont eux appelé à un retrait complet des forces de la coalition internationale du Yémen.
"Nous nous réjouirons d’une telle démarche [l’annonce du désengagement émirati, NDLR] que lorsqu’il y aura un retrait total de toutes les troupes étrangères présentes au Yémen, a déclaré Mohamad al-Baghiti, cadre politique du mouvement des houthis, interrogé par France 24. Et d’ajouter : "Nous sommes pour la paix, mais comment pouvons-nous parler de paix alors que l’agression contre le Yémen se poursuit".
"Un choix de raison"
"L’annonce de ce désengagement n’est pas surprenante, elle avait déjà été annoncée par la presse fin juin, et les Émiratis avaient laissé entendre, après l’accord de Stockholm, que la présence de leurs soldats sur le terrain n’était plus nécessaire, estime Hicham Jaber, directeur du Centre d'études stratégiques pour le Moyen-Orient basé à Beyrouth, interrogé par France 24. Ils se sont rendus compte, peut-être un peu tard, que cette guerre est absurde et très coûteuse, c’est un choix de raison, le meilleur qu’ils puissent faire".
Les Émirats, qui ont perdu plus de 50 soldats dans la guerre du Yémen, avaient fortement appuyé les pourparlers organisés sous l’égide de l’ONU en Suède, les qualifiant de "chance décisive". Interrogé à l’époque par France 24, Anouar Gargash, ministre des Affaires étrangères des EAU, avait expliqué que tous les acteurs du conflit "avaient intérêt à ces négociations".
L’annonce du désengagement émirati intervient alors que les tensions vont crescendo dans la région du Golfe entre les États-Unis, ses alliés sunnites, et l’Iran, après la destruction, le 20 juin, d'un drone américain par les Iraniens près du détroit d'Ormuz.
"Le contexte géopolitique et les tensions entre Washington et Téhéran ne sont certainement pas étrangers à cette démarche, il faut croire que les Émiratis veulent se reconcentrer au cas où éclaterait un affrontement direct avec l’Iran", décrypte Cyril Payen, journaliste de France 24, qui a effectué une série de reportages exclusifs au Yémen en début d'année.
Un avis que partage Hicham Jaber. "Les incidents se multiplient dans la région, or les Émirats sont très proches géographiquement de l’Iran, rappelle-t-il. Téhéran a averti Abou Dhabi qu’il subirait les conséquences d’un conflit avec les États-Unis. Et les Houthis ont également menacé de frapper le territoire des membres de la coalition arabe, le contexte justifie donc bien de replier ses troupes à l’intérieur de ses frontières".
Toutefois, selon lui, il ne saurait être question pour Abou Dhabi d’abandonner ses acquis au Yémen. "Même s’ils retirent la majorité de leurs 6 000 soldats, ils laissent sur place des officiers et des experts pour encadrer les milices qu’ils ont contribué à former et à financer, et qui comptent plus de 70 000 hommes. Grâce à ses troupes qui lui sont fidèles, Abou Dhabi peut rester influente, garder le contrôle des points stratégiques dont elle avait la charge, et protéger ses intérêts", conclut Hicham Jaber.
Avec AFP