Une série de documents obtenus par des ONG de défense des droits de l'Homme et publiés mercredi offre un regard sur la manière dont l'ICE, la police migratoire américaine, prépare ses raids contre les sans-papiers.
"Joyeuse chasse", "Les gars s'amusent beaucoup"... Alors que l'Immigration and Customs Enforcement (ICE), la police migratoire américaine, prépare l'un des plus grands raids de son histoire en 2017, les agents s'échangent des messages guillerets, évoquant même une opération "fun", qu’ils surnomment ironiquement "Operation Mega".
Entre autres informations, c'est ce que révèlent les milliers de documents obtenus par les associations de défense des droits de l'Homme Mijente et Detention Watch Network, et rendus publics mercredi 3 juillet sous le nom de "ICE Papers". Les deux associations ont pu avoir accès à ces données au nom du "Freedom of Information Act" – qui oblige les agences fédérales à transmettre leurs documents à quiconque en fait la demande au nom du droit à l'information.
Le plus grand raid de l'histoire de l'agence
Ces archives lèvent le voile sur les coulisses d'un raid massif prévu en septembre 2017 contre des sans-papiers vivant aux États-Unis. "La plus grande opération de ce type de l'histoire de l'ICE", selon un des documents. Entre 8 400 et 10 000 clandestins devaient être appréhendés dans des interventions conjointes réunissant 24 bureaux locaux de l'ICE. L'opération avait finalement été annulée après des fuites dans la presse, une semaine avant l’opération.
Un email daté d'août 2017 évoque l'existence de quotas d'arrestations pour certains bureaux locaux. Un officier réclame que le bureau de Salt Lake City ait "240 cibles" à sa disposition. Un autre email demande à celui d'Austin d'avoir "30 cibles" en ajoutant que "parvenir à ce nombre" pouvait potentiellement s'avérer compliqué.
Un des porte-parole de l'ICE, interrogé par le Guardian, a écarté l’existence de quotas et a affirmé que ces opérations n'étaient "pas basées sur une compétition ou le besoin d’atteindre un certain seuil".
The ongoing threat of mass raids for mass deportations made it necessary for us to understand the inner workings of ICE’s mass raid operations. We’ve confirmed in gov docs that ICE ops are politically motivated & not at all about national security, as the administration claims.
Mijente (@ConMijente) 3 juillet 2019Traditionnellement, l'ICE a pour consigne de viser, d'arrêter et d'expulser les personnes en situation irrégulière ayant commis des crimes ou de graves infractions sur le territoire américain. Ces dernières années, l'agence fédérale a pris l'habitude de s'intéresser à ceux commettant des infractions des plus mineures comme un excés de vitesse ou le fait de circuler à vélo sans lumière. Cependant, les documents démontrent clairement que l'agence ne vise pas seulement des sans-papiers aux antécédents judiciaires. Si ces derniers restent la cible prioritaire de l'ICE, elle n'hésite pas à qualifier certaines arrestations de "collatérales".
ICE used arrest quotas and anyone suspected of being a noncitizen was a target for deportation. ICE HQ also sent local target quotas to local ICE Field Offices. To get higher numbers, agents were expected to arrest “collaterals” encountered in the operation.
Mijente (@ConMijente) 3 juillet 2019"La manière dont ces listes sont créées est terrifiante", explique Jacinta Gonzalez, un des membres de Mijente, au Guardian. "Ces documents montrent à quel point ces raids sont motivés politiquement. Ils démontrent aussi que l'accent est mis sur les chiffres et non la sécurité."
Des mots "inhumains"
Les documents obtenus par Mijente montrent également le vocabulaire utilisé par les agents pour la préparation et la conduite de ces raids : "Joyeuse chasse et recherche de cibles" à propos de l'arrestation prochaine de 240 personnes. Ou encore un responsable texan félicitant ses équipes : "Vous gérez les gars !" Ce à quoi on lui répond : "Merci, les gars s'amusent beaucoup".
Des propos que l’on retrouve dans le groupe "secret" de la Border Patrol créée en 2016 et qui rassemble 9 000 personnes, soit la moitié des effectifs actuels du Customs and Border Protection (CBP), chargés de surveiller les frontières américaines. Baptisé "Je suis 10-15" du nom de code qui signifie "étrangers en détention", le groupe se décrit comme un forum "marrant" et "sérieux" permettant aux douaniers, anciens ou actuels, de discuter "uniquement" de leur travail. Mais les commentaires des utilisateurs sont le plus souvent ironiques ou insultants, notamment sur des migrants morts en détention ou encore envers la jeune députée Alexandria Ocasio-Cortez, selon ProPublica, qui a publié plusieurs de ces messages problématiques.
Pour Jacinta Gonzalez de Mijente, ces révélations suggèrent un problème systémique au sein des agences fédérales chargées de l'immigration : "Ce problème est à l'échelle du Département [de la sécurité intérieure]. Ils répètent des choses inhumaines et insultantes pour déshumaniser" leurs cibles.
Le porte-parole de l'ICE a déclaré dans un courrier électronique que l'agence "ne tolérait pas l'utilisation d'un langage offensant ou politiquement chargé, en référence aux opérations d'application de la loi", ajoutant que tout officier surpris à commettre ces faits seraient sanctionnés.
Un modèle d'action pour des prochaines expulsions ?
Si "ce plus grand raid de l'Histoire" n'a jamais eu lieu, ces listes de cibles ont été utilisées pour des opérations similaires et à plus petite échelle dans les mois qui ont suivi, nous apprennent également les documents de Mijente.
Here’s some of what we found:
ICE used arrest quotas & anyone suspected of being a noncitizen was a target for deportation
Although Operation Mega was the largest raid ICE HQ planned, they conducted multiple national operations in 2017 with the same plans.
Des données caractéristiques des méthodes de l'ICE, alors que Donald Trump a annoncé le 18 juin que son administration comptait expulser des millions de clandestins : "La semaine prochaine l'ICE va commencer à expulser les millions d'étrangers illégaux qui sont entrés de manière illicite aux États-Unis. Ils seront renvoyés aussi rapidement qu'ils arrivent", avait indiqué le président américain dans un tweet emporté dont il est coutumier.
On estime à 12 millions le nombre de personnes en situation irrégulière aux États-Unis, venant principalement du Mexique et de pays d'Amérique centrale.