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Imamoglu à la mairie d'Istanbul, un test pour le pouvoir d'Erdogan

En annulant le scrutin du 31 mars, le président turc Recep Tayyip Erdogan a contribué à la victoire de celui qui s'annonce désormais comme son principal adversaire.

Avec 800   000 voix d'avance sur le candidat de l'AKP Binali Yildirim, c'est un raz-de-marée électoral qui a porté, dimanche 23   juin, Ekrem Imamoglu à la mairie d'Istanbul. Ironie de la politique, cette victoire confortable d'un candidat de l'opposition encore inconnu il y a six mois a été précipitée par le président turc lui-même.

"Recep Tayyip Erdogan est le principal architecte de la victoire d'Ekrem Imamoglu. En faisant annuler le premier scrutin, il a renforcé la légitimité de son adversaire et commis la plus grosse erreur politique de sa carrière", analyse le journaliste Guillaume Perrier, longtemps correspondant du Monde en Turquie et auteur de "Dans la tête d'Erdogan" (éditions ActesSud).

À l'issue du scrutin du 31   mars, Ekrem Imamoglu, candidat commun des partis d'opposition CHP (le Parti républicain du peuple ) et Iyi ( Le Bon Parti) n'avait en effet obtenu que 13   000 voix d'avance sur le candidat de l'AKP. Une courte victoire qu'Erdogan, ancien maire de la ville dans les années  19 90 (son adage   : "Qui gagne Istanbul, gagne la Turquie" est resté célèbre), n'a pas acceptée. Un mauvais calcul puisque l'annulation de ce premier scrutin après des semaines de rebondissements a finalement débouché sur une défaite bien plus ample dimanche.

Des quartiers jusque-là acquis à l'AKP ont basculé

"Cette défaite a des airs de tournant", estime Guillaume Perrier, qui relève que même des quartiers conservateurs d'Istanbul, jusqu'alors acquis à l'AKP, ont tourné le dos au candidat d'Erdogan lors du scrutin de dimanche. Un renversement de fidélité qui n'est pas sans rappeler le manifeste publié il y a deux mois par un ancien fidèle d'Erdogan, l'ex-Premier ministre Ahmet Davutoglu, écarté en 2016 et très discret depuis. Dans ce texte d'une quinzaine de pages, l'ancien homme d' É tat critiquait de manière inédite l'autoritarisme et la politique économique du président turc.

"Ce n'est pas une victoire, mais un nouveau départ pour la Turquie", s'est contenté de commenter le grand vainqueur de la soirée, fidèle à la sobriété qui a été la sienne au long de ces dernières semaines.

Si Recep Tayyip Erdogan a commis une erreur stratégique décisive en convoquant un second scrutin, Ekrem Imamoglu, de son côté, a su marquer des points. "Le ton de sa campagne a été consensuel et apaisant. Il n'a pas eu recours aux polémiques ou aux attaques personnelles qui sont la stratégie d'Erdogan depuis toujours. En adoptant une manière de communiquer volontairement différente, il a pris de court Erdogan."

Ainsi, Imamoglu a fait le choix d'ignorer les attaques de l'AKP l'accusant tour à tour d'être un crypto-grec (et donc un traître potentiel), un menteur ou encore d'avoir des liens avec Fethullah Gülen , le prédicateur réfugié aux États-Unis et considéré par Ankara comme un terroriste.

Dimanche soir, le candidat de l'AKP a rapidement concédé sa défaite. "Or c 'est le palais présidentiel qui valide ce genre de scrutin. C'est donc le signe qu'Erdogan a accepté le résultat. Dans une autre ville qu'Istanbul, il serait peut être passé en force en destituant le maire comme c'est déjà arrivé maintes fois. Mais parce, cette fois, il s'agit d'Istanbul et que le monde entier avait les yeux rivés sur la Turquie, Erdogan s'est retrouvé coincé", juge Guillaume Perrier.

En accédant au siège de maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu acquiert une visibilité rare pour un opposant en Turquie. "L'espoir qu'il a suscité est tel que, si l'opposition reste unie, c'est la voie royale pour un destin national", estime Guillaume Perrier.

Erdogan ne devrait pas lui faciliter la tâche. Lui qui n'a jamais caché son objectif de se faire réélire en 2023 pour le centenaire de la république de Turquie, va probablement tenter d'affaiblir son adversaire durant les quatre prochaines années. "Une des possibilités est qu'il vide de ses prérogatives la fonction de maire d'Istanbul", relève Guillaume Perrier, en précisant que le conseil municipal reste justement aux mains de l'AKP.