, evoyée spéciale à France 24 – Zalmaï, photographe afghan lauréat du Visa d'or 2009, témoigne de la tragédie humaine qui affecte son pays. Entretien avec un artiste engagé qui a refusé de couvrir l’élection présidentielle du 20 août dernier en Afghanistan.
FRANCE 24 : Comment vous êtes-vous lancé dans la photo ?
Zalmaï : Je n’ai pas commencé la photo par hasard. C’était un rêve d’enfant. Quand j’ai eu 15 ans, il y a eu la guerre dans mon pays. C’était en 1980, l’Armée rouge venait d'envahir l’Afghanistan. J’ai dû prendre le chemin de l’exil avec mon frère, sans mes parents. Quelques semaines plus tard, j’étais en Suisse où j’avais une tante. C’est là-bas que j’ai entamé des études de photographie. En 1989, j’étais photographe indépendant. Et je le suis toujours.
Au festival Visa pour l'image, vous exposez une série de photos sur l’Afghanistan. Que vouliez-vous raconter ?
J’ai commencé mon travail sur l’Afghanistan en 2001, lors de la chute des Taliban. Je suis rentré dans le pays avec les troupes de Massoud. Les Afghans sont les héros des années 1980. Tout le monde les a utilisés pour écraser l’Armée rouge. L’Afghanistan est le cimetière des empires. Les Russes l'ont évacué en 1989. À l'époque, tout le monde s’en est alors désintéressé. Ce retrait de la communauté internationale affecte toujours le pays aujourd’hui.
L’Afghanistan est devenu un enjeu de pouvoir, déchiré par la guerre civile. C’est un pays pauvre, montagneux, mais à la géographie intéressante d'un point de vue stratégique. De 1996 à 2001, le peuple souffrait mais tout le monde s’en moquait. Jusqu’à ce que cela nous affecte à New York. Aujourd’hui, il y a 42 pays qui se battent en Afghanistan car personne n’a rien fait en 1989.
Votre exposition s’intitule "Promesse et mensonge". À quoi cela fait-il référence ?
La communauté internationale a promis 5 milliards à 6 milliards de dollars pour reconstruire le pays, qui compte 25 millions d’habitants. Les Américains ont, eux, dépensé 167 millions de dollars. Mais si seulement un tiers de cette somme avait été versé dès le départ, on n’en serait pas là. Aujourd’hui, on recommence à parler de l'Afghanistan. Mais c’est trop tard. C’est un corps qui est en train de mourir. Comment toucher le cœur d’un corps qui meurt ?
Quelle peut être l’issue de ce conflit ?
La solution n’est pas militaire. Si on n’arrive pas à voir la souffrance des gens, on ne peut pas gagner cette guerre. C’est une guerre sans fin, qui peut durer 40 ans. Il faut absolument qu’on change notre regard sur l’Afghanistan. Visa pour l’Image me donne la parole pour que je fasse passer mon message : n’envoyez plus de troupes ! Il faut humaniser le conflit. Il faut que les Occidentaux arrivent à envisager autre chose que leurs seuls intérêts militaires, stratégiques et financiers.
Quant aux élections, j’ai refusé de les couvrir. Si 30 % de la population ne peut pas voter, le scrutin n’a aucune légitimité. Karzaï va probablement gagner, alors qu’il a déjà eu suffisamment de temps pour faire changer les choses. Or, il ne l’a pas fait. Les élections sont de la poudre aux yeux pour la démocratie qu’on veut instaurer en Afghanistan.
Quel est votre traitement photographique du conflit ?
De 2001 à 2005, j’ai travaillé sur l’espoir des Afghans. Cinq millions sont rentrés - il faut savoir que c’est le peuple qui compte le plus grand nombre d'exilés au monde. Pour moi, c’est la preuve qu’ils veulent la paix, reconstruire leur pays. Mais la communauté internationale n’a pas su exploiter ce sentiment. Depuis 2005, l’espoir disparaît peu à peu. Je travaille sans espoir, donc sans couleurs. L’Afghanistan perd ses couleurs. La guerre vole les couleurs de la vie.
Je saisis la beauté de la souffrance. C’est l’art de la photo. Il faut que ce soit beau pour qu’on ne tourne pas la page. Je voulais raconter la renaissance et je raconte comment on va l’enterrer.
Bibliographie
- Eclipse, Umbrage, New York, 2002.
- Return. Afghanistan, Aperture/UNHCR, Genève et New York, 2004.
- Silent Exodus : Portraits of Iraqi Refugees in Exile, Aperture/UNHCR, New York, 2008.